Chapitre 23 : Supercherie

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Alexia faisait les cent pas dans une chambre dévastée. Ou plutôt, elle faisait les cent pas dans sa chambre qu'elle avait dévastée. Ayant l'habitude de passer la nuit à réfléchir et à coucher diverses manœuvres stratégiques sur papier, elle avait cette nuit-là été tirée de ses réflexions par une explosion de puissance, en provenance de la périphérie de la ville. Intriguée, elle avait été tentée d'aller vérifier ce qui en était la source, avant de décider que cela ne devait pas avoir d'importance et de retourner à ses occupations.

Ce qui s'était avéré être une grossière erreur.

Au matin, son cœur avait raté un battement à la vue du titre d'un segment de nouvelles télévisées :

TOUTES LES TOMBES DU CIMETIÈRE MUNICIPAL PROFANÉES

Le gardien de nuit perd la raison et prétend avoir vu les morts se relever

Tétanisée, elle avait regardé le reportage de la jeune journaliste qui couvrait l'évènement, montrant des images du cimetière, où la terre couvrant chacune des tombes avait été retournée, puis d'un fourgon de l'hôpital psychiatrique, dans lequel un vieil homme au regard dément et vêtu d'une camisole de force était entré de force par deux hommes de forte carrure, alors qu'il se débattait en hurlant que le jour du jugement dernier était proche. Pendant ce temps, la jeune femme expliquait que nul ne savait ce qui pouvait bien avoir poussé des gens aussi mal intentionnés soient-il à commettre un acte aussi ignoble et gratuit, mais que les forces de l'ordre s'affairaient déjà à retrouver les coupables.

«C'est fou ce que les mortels peuvent inventer pour échapper à la réalité, songea brièvement la déesse de l'amour, à la fois méprisante et un brin envieuse.»

Elle aurait en effet bien aimé pouvoir faire preuve de la même naïveté, mais peu importe la perspective avec laquelle elle regardait la scène, les trous creusés dans la terre ne pouvaient l'avoir été que de l'intérieur : la terre avait en effet été éventrée, les résidus formant des anneaux autour des trous, qui étaient d'une forme irrégulière. Et cela, combiné à l'impulsion de puissance qu'elle avait ressentie pendant la nuit, ne pouvait signifier qu'une chose... D'une façon ou d'une autre, Hadès avait été Éveillé. Et, comme si ça n'était pas suffisant, son arme secrète avait disparu. Cette pensée la mettait encore plus en rage : toutes ces recherches pour trouver le nouvel hôte de Zeus, pour le voir lui filer entre les doigts, ou moment précis où elle croyait avoir éliminé Hadès... Tous ces échecs, se succédant à un rythme aussi rapide, ne pouvaient être une coïncidence.

- BERNÉE ! hurla-t-elle encore une fois, en donnant un violent coup de pied dans un de ses cartables, habituellement soigneusement rangés sur son bureau, mais répandus au sol depuis longtemps.

- Certes, répondit une voix familière dans son dos. Mais tu devais bien t'attendre à ce que je ne me laisse pas faire aussi facilement, n'est-ce pas ?

La jeune fille se tourna lentement, rivant un regard furieux en direction de son interlocuteur, qui n'était autre que Christopher. Celui-ci, un sourire narquois sur son visage, détaillait la chambre et le désordre général qui y régnait.

- Qu'est-ce que tu fous chez moi ? demanda la jeune fille en grondant.

Le garçon lui servit un regard étonné.

- On est samedi aujourd'hui, répondit-il. Tu as déjà oublié ? Le bal de promotion ?

Il étendit les bras en croix, mettant en évidence le complet gris taillé sur mesure qu'il portait. Puis il ajouta d'un ton mielleux, arquant un sourcil amusé :

- Je sais qu'on avait dit huit heures, mais j'ai cru bon d'arriver avec quelques minutes d'avance. Et on dirait que je ne me trompais pas.

Ignorant le jeune homme et ses propos moqueurs, Alexia s'approcha rapidement de lui et demanda :

- Comment ? Comment tu as fait pour réveiller Hadès ? Il était mort, je l'ai vu !

Christopher soupira, avant de se passer la main dans les cheveux.

- Et il serait curieux pour le Seigneur des Morts de pouvoir feindre sa propre mort, tu crois ?

Alexia se figea.

- Il a utilisé Antemortem, murmura-t-elle.

- Évidemment, répliqua Christopher. Hadès a toujours été un fin acteur, et feindre sa propre mort est un jeu d'enfant quand on dispose, comme lui, de cette faculté qui permet d'arrêter son cœur et de ralentir sa guérison.

- Mais... balbutia la jeune fille, mais alors ça voudrait dire...

Christopher lui servit un grand sourire, avant de poursuivre :

- Eh oui, il était déjà Éveillé depuis le début. Quand je suis allé chez lui mercredi, c'est l'une des premières choses que j'ai fait, après quelques explications sommaires. Pendant un instant j'ai eu peur qu'il produise en s'éveillant un phénomène qui aurait permis qu'on le repère, comme l'a fait Poséidon, mais apparemment, ça n'a pas été le cas.

- Mais... pourquoi ? Pourquoi me faciliter la tâche ? Tu es tombé sur la tête ! s'écria la jeune fille. Tu n'as fait que m'aider à accomplir mon objectif, maintenant il n'y a plus qu'à attendre que Zeus s'Éveille pour accomplir la prophétie...

- Ah, oui, cette fameuse prophétie... répondit songeusement Christopher. L'Amour vint en premier, Mais le Flot du Temps, omniprésent, Fait de la Terre poindre les Enfants.

Il avait cité ces lignes en grec ancien, quand il s'arrêta.

- Mais je m'égare. Si nous ne partons pas vite, nous allons être en retard au bal. Alors change-toi, je t'attends dehors.

- Quoi ? s'exclama Alexia. Mais...

- Nous pourrons poursuivre cette conversation en route vers le point de rendez-vous, l'interrompit le garçon en fermant la porte de la chambre derrière lui.

L'Éveil de la LignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant