Chapitre 11 : Balade nocturne

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Les jours qui suivirent furent éreintants, mentalement parlant. Après le départ d’Alexia de la bibliothèque, Christopher avait repris sa lecture là où il l’avait abandonnée, et s’était plongé dans les traités portant sur la mythologie grecque pour le reste de la journée. Cependant, mis à part quelques passages qui lui firent froncer les sourcils, et dont il se promit de mentionner l’existence à Gaël lorsqu’il la rencontrerait de nouveau, il ne trouva dans cette pile de documents aucune information qui prit un jour nouveau à la vue des évènements récents. Il s’attendait d’ailleurs à pouvoir discuter avec elle le soir même, mais elle ne parut pas dans ses rêves cette nuit-là : en effet ses songes éveillés ne furent habités que par des flots incessants de souvenirs, malheureusement relativement inintéressants. C’étaient effectivement les souvenirs de l’enfance de Cristobal Spencer, le futur archlord. Titre dont Christopher se demandait toujours d’où il venait, puisque selon ces souvenirs récemment acquis, ou plutôt retrouvés, le père de Cristobal n’était connu sous aucune autre appellation que lord Casimir Spencer. Lui étaient donc revenus ses souvenirs sur son enfance, au manoir Spencer, avec sa sœur Alexandra, sa compagne de jeu jusqu’à l’âge de sept ans, âge où ils avaient été séparés pour que leur éducation soit entreprise. Il revécut les leçons données par son précepteur privé, accédant à un flot de connaissance oubliées qui refirent brutalement surface. Il assista également à ses rares rencontres avec sa sœur, à leurs échanges sur leurs apprentissages et les crises d’Alexandra concernant le peu de culture qu’on lui enseignait, considérant sexiste qu’elle ait dû insister fortement pour qu’on lui enseigne autre chose que la musique et les arts, à savoir les lettres. Christopher fut également le témoin de l’attirance grandissante du jeune Cristobal envers sa sœur à mesure qu’ils approchaient de l’adolescence, attirance qu’il s’efforçait de réprimer autant qu’il le pouvait. Au final, incapable d’y résister, il avait fini, le jour de ses douze ans, par refuser complètement de la voir, si bien que neuf années passèrent sans qu’ils se rencontrent.

Étant donné l’influence qu’il avait sur le temps, Christopher n’éprouvait plus aucune difficulté à ses examens, si bien que le vendredi fut une partie de plaisir. Le retour des connaissances qu’il avait acquises lors de sa deuxième vie lui était également d’un grand secours, si bien qu’au lieu d’étudier, Christopher passa la fin de semaine à méditer. Encore une fois, seule une vague de souvenirs anciens vinrent l’assaillir, et encore, ceux-là ne provenaient même pas de la vie de Cristobal Spencer, il ne s’agissait que de filaments entrelacés en provenance de plusieurs différentes vies, le plus souvent si brefs qu’il avait peine à discerner les scènes qu’elles contenaient. Et pourtant, grâce à ses facultés sur le temps, il pouvait d’instinct placer chacun des souvenirs sur une ligne du temps mentale, et combler les trous de sa longue vie grâce à eux.

Si bien que le dimanche soir, ouvrant les yeux pour la première fois depuis son arrivée de l’école le vendredi soir, Christopher ressentit un profond sentiment de plénitude. Et pourtant, un grand vide l’habitait : combler ces trous dont il ignorait l’existence lui avait fait prendre conscience des lacunes de sa mémoire, et elles étaient encore immenses. Bien sûr, il y avait eu du progrès : il pouvait désormais affirmer avec une certitude quasi-totale qu’il avait eu six vies jusqu’à présent, bien qu’il n’ait de véritables souvenirs que des deux dernières. Étrangement, si l’état de transe dans lequel il entrait pour récupérer ces souvenirs était très reposant physiquement, il était très épuisant mentalement. Malgré le fait que la soirée fut assez avancée – dix heures trente-neuf –, Christopher ressentit le besoin d’aller prendre l’air, histoire de s’aérer les idées.

Il se leva donc, revêtit un pull, prévoyant que la soirée serait assez fraîche, et posa la main sur la poignée, s’apprêtant à la tourner, quand il sentit la présence de sa mère et de son frère dans le salon, captant l’énergie qui émanait d’eux. Il jura silencieusement. Il savait qu’il devrait répondre à quelques questions s’ils le voyaient, entre autres sur le fait qu’il ait passé toute la fin de semaine dans sa chambre sans jamais en sortir, même pour se nourrir. Et bien sûr, il ne pouvait pas leur répondre qu’il avait découvert qu’il n’avait pas besoin de s’alimenter, son sang doré contenant semblait-il naturellement tous les nutriments dont son organisme avait besoin. Il aurait toujours pu les envoûter, mais il ne voulait pas que ça devienne la solution facile, comme c’était visiblement le cas pour Alexia, et de toute façon il n’était pas certain de pouvoir les envoûter tous les deux en même temps. Christopher ferma donc les yeux, puis se concentra pour étendre son pouvoir.

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