Chapitre 6 : Invitation

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La matinée se déroula sans accrocs. C'était une période d'étude obligatoire, en prévision de l'examen d'histoire de l'après-midi. Christopher n'ayant jamais eu de difficulté à retenir les dates, il se contenta de relire tranquillement ses notes, pendant que la plupart de ses camarades s'arrachaient les cheveux de la tête. Encore épuisé par l'effort mental fourni la veille pour réviser ses mathématiques, sans oublier sa courte nuit de sommeil, qui de toute évidence n'avait été que très peu réparateur et la pression des évènements récents, ajoutée à celle des examens, il finit par s'endormir sur ses livres.

À sa grande surprise, il ne s'agissait pas du rêve habituel. Plus étonnant encore, ce rêve lui paraissait presque plus réel que celui qui hantait ses nuits depuis trois cent soixante-deux jours. Il ne se trouvait plus au-dessus d'un gouffre, mais au-dessus d'une salle de bal, sur un balcon qui surplombait celle-ci. La salle était bondée, on y dansait des valses et autres danses classiques. Les vêtements de soie et de velours étaient chose courante, les perruques poudrées étaient légion : un bal du dix-huitième siècle, probablement. La richesse des invités était affichée à outrance, et sur une table à l'extrémité droite de la pièce se trouvait le festin le plus somptueux qu'il ait jamais vu. Quelques nobles s'y étaient attroupés, visiblement intrigués de certains aliments qui s'y trouvaient, tels différents agrumes tropicaux qui, effectivement, n'auraient pas dû s'y trouver en si grande quantité pour l'époque, étant donné leur coût exorbitant. Ils s'extasiaient également de la présence de viandes et rôtis plus appétissants les uns que les autres et de fromages attrayants.


Tout pris qu'il était à contempler le bal, Christopher ne remarqua l'arrivée d'un vieux serviteur que lorsqu'il s'adressa à lui, en effectuant une révérence respectueuse :


-        La soirée se déroule-t-elle selon vos désirs, mon seigneur ?


Christopher se tourna vers lui, constatant pour la première fois qu'il tenait à la main une lourde canne faite d'or massif, étrangement luisante. Ses habits semblaient également extrêmement luxueux, bien que plus légers que ceux des nobles qui dansaient dans la salle sous ses pieds.


-        Parfaitement, Alphonse, s'entendit-il répondre, alors qu'un sourire se dessinait sur ses lèvres. Tout est exactement comme je l'avais imaginé, jusque dans les moindres détails. Vous avez fait de l'excellent travail.


C'était très étrange. Christopher se sentait prisonnier de son propre corps, comme s'il le partageait avec une autre conscience qui le contrôlait. Et, en même temps, il avait l'étrange impression que c'était lui qui agissait, ou du moins qu'il aurait agi exactement de la même façon s'il avait grandi à cet endroit et à cette époque.


Puis la teneur de sa discussion avec le serviteur le frappa : c'étaient donc ses invités, c'était donc lui qui avait organisé cette soirée.


-        Cela me réjouit, mon seigneur, poursuivi le domestique, toujours courbé. Dois-je annoncer votre arrivée ?


Christopher, ou plutôt son corps, garda le silence, puis se tourna vers la salle de bal à nouveau. Puis il demanda finalement :


-        Est-elle arrivée ?

-        Non, mon seigneur, répondit le serviteur. Du moins elle n'a pas été annoncée.

-        Alors mon arrivée peut attendre encore un peu.

-        Mais, mon seigneur, si elle ne vient pas, vous passerez-vous de paraître ? À votre propre bal ?

-        Elle viendra, affirma Christopher à l'unisson avec son corps, sans trop savoir pourquoi, et sans même quitter la salle du regard. Elle viendra...


Christopher s'éveilla ensuite en sursaut. On le secouait par l'épaule.

-        Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?

Il leva finalement la tête de son livre. C'était Pascal qui le secouait frénétiquement, l'air incrédule.

-        Qu'est-ce qu'il y a ? répondit Pascal d'une voix criarde, en ricanant de stress. C'est à elle que tu dois le demander.

Pascal lui lâcha l'épaule puis se recula. Derrière lui se tenait Helena, une petite brune timide qui faisait partie des amies d'Alexia. Christopher referma le livre sur lequel il s'était endormi, regrettant d'en avoir froissé une page, puis plongea son  regard dans celui de la jeune fille en esquissant un sourire.

-        Eh bien, qu'est-ce que je peux faire pour toi ? lui demanda-t-il.

Sa voix lui fit un drôle d'effet, comme s'il y avait un trémolo en elle qui n'y était pas auparavant. Il associa cela à la fatigue. Il lui sembla ensuite qu'Helena semblait rétrécir encore davantage, et que ses joues se tintèrent de rouge. Aussi, c'est en bégayant qu'elle répondit :

-        Je... je... tu... en fait, c'est Alexia... elle... elle voudrait que tu... que-tu-te-joignes-à-nous-ce-midi-pour-dîner, acheva-t-elle à toute vitesse.        

Ça expliquait pourquoi Pascal semblait aussi nerveux. Il devait se demander ce qui se produisait, et à dire vrai, Christopher se le demandait également.

-        Pourquoi donc ? demanda-t-il, s'attirant ainsi un regard empli de gratitude de la part de Pascal.

-        Je... je ne suis pas sensée le dire...

-        Allons, répondit Christopher, ressentant de nouveau l'étrange vibration dans sa voix, je suis curieux, pourquoi Alexia me veut-elle voir à sa table ? Il doit bien y avoir un objectif à ceci, je ne crois pas avoir eu l'honneur d'être votre hôte jusqu'en date d'aujourd'hui.

Il lui sembla remarquer un froncement de sourcil de la part de Pascal, puis il concentra son attention sur Helena qui se trémoussait maintenant, visiblement mal à l'aise. Mais pourquoi ?

-        Je... il... il me semble qu'elle a dit quelque chose comme quoi elle aurait... apprécié que tu l'aie regardée droit dans les yeux, ce que les autres garçons ne font jamais.

Un sourire incertain se forma sur le visage de Christopher. Il lui semblait percevoir un message derrière cette phrase. Les yeux, songea-t-il soudainement. C'est en lien avec les yeux. Elle fait croire qu'elle veut une explication sur mon comportement, mais en fait, c'est peut-être tout le contraire... c'est elle qui veut la donner. Un frisson d'excitation le parcouru, alors que la sonnerie indiquant l'heure du dîner se faisait entendre.

-        A... alors ? demanda Helena timidement.

-        Il me ferait plaisir de me joindre à vous, répondit Christopher en se levant, souriant.

Enfin, songea-t-il à nouveau, c'est enfin l'heure des réponses.

L'Éveil de la LignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant