Chapitre 15 : L'éveil de la lignée

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Christopher se dirigea vers la chambre de Pascal, encore ébranlé par les révélations de Gaël. Si ce qu’elle lui avait appris était exact, sa vie, non, sa mission risquait de se compliquer grandement après ce qu’il allait faire. Néanmoins, il devait sauver son ami, cela du moins il ne le mettait pas en doute.

Il croisa de nombreux membres du personnel. Il ne se donna pas la peine de les hypnotiser : il se contenta d’empêcher son aura de percer, sinon complètement, du moins suffisamment pour que nul ne l’importune : dans les faits, c’était comme si personne ne le voyait. Les médecins déviaient de leur trajectoire pour l’éviter, mais c’était la seule trace de lui qu’ils avaient, leur subconscient les poussant à l‘ignorer pour survivre. Il était davantage un fantôme, une ombre, qu’un être vivant : nul ne le voyait, nul ne savait qu’il était là. Il y avait bien des caméras, mais elles ne filmaient pas : il les avait figées dans le temps.

Il atteignit enfin la chambre de Pascal. Une infirmière était en train de prendre des notes sur les machines qui le maintenaient en vie, sans doute pour écrire un rapport, sans se douter que c’était inutile. D’ici une heure, non, d’ici cinq minutes, le garçon que l’on croyait mort serait guéri miraculeusement. On lui poserait des questions, mais aucune prise de sang ne serait faite : Gaël s’en assurerait. Le secret ne serait pas découvert.

Christopher s’assit dans la chaise des visiteurs en attendant le départ de l’infirmière. Il accéléra légèrement son temps, non par crainte que quelqu’un d’autre arrive, la famille de Pascal se fichait bien de ce qui pouvait lui arriver du moment que les assurances-vie payaient, ce qui ne serait malheureusement pas le cas, mais par simple courtoisie : par sa faute, on allait la traiter d’incompétente, peut-être même la renvoyer, quand elle protesterait qu’elle venait tout juste de prélever les données et que rien n’indiquait une soudaine amélioration, alors il pouvait bien lui faire gagner quelques minutes, du moins l’empêcher d’en perdre trop.

Lorsque l’infirmière fut partie, Christopher s’approcha tranquillement du lit de son ami. Il sortit de sa poche un scalpel dont il s’était emparé sur la route, et s’entailla la main. Et alors il hésita. Il lui sembla entendre de nouveau les paroles de Gaël, telles qu’elle les avait prononcées :

«Une seule goutte. Directement dans l’œsophage. Si elle touche la langue, celle-ci en restera marquée et il aura un défaut d’élocution. Aussitôt après que ton sang soit entré en contact avec son organisme, il entrera en crise d’épilepsie, tu devras tenir sa tête immobile. Il va crier, hurler, se débattre : je vais m’arranger pour que nul ne l’entende ni ne vienne par hasard.»

 

Pas très rassurant. Il baissa la tête sur sa main et constata que la plaie avait déjà disparu. Il jura, puis s’entailla de nouveau, serrant les dents pour ne pas gémir. Il s’empara alors d’un compte-goutte stérile et aspira quelques gouttelettes de sang doré avant que la plaie ne se referme à nouveau. Le garçon prit alors une bonne inspiration, ouvrit la bouche de son ami, visa l’œsophage et laissa tomber une minuscule gouttelette.

-        La boucle est bouclée, ainsi s’éveille la lignée, marmonna-t-il sans trop savoir pourquoi.

Le résultat fut aussi instantané que l’avait prédit Gaël. Christopher lui tint la tête, mais ce ne fut pas chose aisée : Pascal se débattait comme un diable, ou plutôt son corps se débattait, puisque les connexions qui auraient dû lui permettre de se mouvoir étaient toutes rompues. Le jeune homme attendit avec angoisse que le signe qu’avait mentionné Gaël se manifeste :

«C’est une étape cruciale. Nos ennemis sont visiblement convaincus que ça fonctionnera, sinon ton ami serait déjà mort. Mais il se peut qu’ils fassent erreur. Si c’est le cas, j’ai le regret de t’informer que ton ami mourra aussi sûrement que si tu lui avais fait avaler le contenu d’une batterie de voiture. Sinon, au pire de la crise, il ouvrira les yeux, et tu pourras les voir devenir dorés.»

 

L’angoisse l’envahissait peu à peu. Les spasmes allaient en s’accroissant, et ne semblaient jamais atteindre de maximum. Puis, soudain, alors qu’il ne s’y attendait plus, les yeux de Pascal s’ouvrirent grand, d’abord blancs car ils étaient roulés vers le haut, puis verts. Enfin, comme si on y avait versé une peinture incandescente, ils devinrent dorés et se rivèrent sur Christopher. Celui-ci entendit quelque chose éclater derrière lui mais ne se laissa pas déconcentrer : ce n’était pas encore terminé. La crise commençait à se calmer, mais les yeux de Pascal luisaient toujours d’une intense lueur. Peu à peu, la lueur s’opacifia, laissant finalement la place à d’étranges prunelles ambrées, beaucoup plus opaque que les siennes. Les soubresauts cessèrent alors, et Pascal referma les yeux.

Christopher soupira, puis relâcha la tête de son ami. C’était terminé, il était sauvé. Pourtant, la boule dans sa gorge ne partait pas : elle avait simplement changé de cause. Il avait sauvé son ami, mais ce faisant il avait été obligé de jouer le jeu de son mystérieux ennemi. Qui pouvait prédire ce que cet ennemi lui réservait encore ? Gaël, sans doute. Il devrait avoir une bonne discussion avec elle le soir même, et pour une obscure raison, il savait que, cette fois, elle ne s’éclipserait pas.

En se tournant pour retourner s’asseoir en attendant le réveil de son ami, le garçon senti quelque chose de froid qui lui effleurait la cheville. Il y porta aussitôt le regard, et constata que le plancher était couvert de quelques centimètres d’eau. Il porta son regard un peu plus loin, à l’endroit où il avait entendu l’explosion un peu plus tôt, et constata que la tuyauterie du robinet de la chambre avait cédé, inondant l’étage.

-        Intéressant, murmura-t-il en esquissant un geste de la main.

Ce faisant, il recula le temps du robinet, aspirant de nouveau l’eau à l’intérieur et réparant la tuyauterie.

L'Éveil de la LignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant