Chapitre 2

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Ma vie n'a rien d'exceptionnel. Si vous vous attendez à lire quelque chose de palpitant, autant vous prévenir tout de suite : arrêtez-vous maintenant. J'suis qu'une ado qui a des problèmes.

Je me réveille généralement vers 7 h du matin, 7 h 15 quand j'ai la flemme. J'ai l'art d'avoir la sonnerie de mon réveil en tête pendant toute la journée. Genre ce matin c'est « Toy » des Block B, je me surprends à la chanter dans la salle de bains en m'habillant.

Je démarre de chez moi vers 7 h 45. Il me faut environ 20 à 30 minutes de marche pour arriver à l'école. Je vis à la citadelle de Namur. J'aime beaucoup l'endroit où j'habite, c'est en pleine nature, j'adore ça. Même si, par comble, on m'a diagnostiqué une allergie aux arbres il y a maintenant deux ans.

En chemin, j'aperçois mon meilleur ami, Nathan. Il est homo. Alors un garçon manqué qui traîne avec un gay, je vous laisse imaginer le genre de moquerie qu'on se ramasse tous les jours.

— Salut ma biche ! lui dis-je en passant mon bras autour de ses épaules.

— Ah, bonjour mon homme, répond-il.

— Ça va aller l'interro de physique aujourd'hui ?

— On verra. Et toi ?

— Pareil.

Nous avons rejoint l'école tout en bavardant de tout et de rien. Je ne sais pas trop comment cette alchimie est née entre nous. J'ai du mal à m'en souvenir. Je me rappelle qu'un jour il a demandé s'il pouvait s'asseoir avec moi au réfectoire et j'ai répondu oui. Depuis on est comme cul et chemise.

Je n'ai jamais vraiment su comment Nathan vit ces moqueries à l'école. On n'en parle jamais entre nous.

Comme chaque matin, j'ai eu droit à une bousculade dans le couloir suivi de l'éternel :

— Regarde où tu vas, PD ! Oh pardon, Ambre, je ne t'avais pas reconnue ! Il te manque des cheveux il me semble. Et peut-être aussi une paire de couilles mais ça reste à vérifier.

C'est Lucas. Ce gars-là avait pris ma défense lors d'une récréation quand nous avions 13 ans. Depuis ce jour-là, il était devenu mon bouclier, ma raison de venir à l'école, de vivre même ! Je vous avais parlé du seul garçon dont j'ai toujours été amoureuse. C'est lui. C'est quand j'ai coupé mes cheveux qu'il a changé radicalement de comportement avec moi. Il m'a brisé le cœur. Depuis, j'ai constamment peur d'être trahie. Je me méfie de tout le monde. Sauf peut-être Nathan. Je ne sais pas trop comment ça se fait... mais c'est comme ça.

Le mercredi, je commence par une heure de physique. J'aime pas trop ce cours mais on fait avec. J'ai fait mon interro comme j'ai pu.

En deuxième heure, j'ai éducation physique. Le sport est le seul cours où j'excelle vraiment ! Et après une interro de physique en option sciences, croyez-moi, ça fait du bien !

Les filles me charrient beaucoup aussi. Elles se changent toujours en me regardant avec méfiance. Elles ont peur d'être relookée par une homosexuelle. Un jour elles ont carrément refusé de se changer tant que je ne sortais pas de la pièce. Heureusement, la prof de gym a pris ma défense... Je crois que personne n'a encore compris que je suis purement hétéro. Mais bon, c'est leur problème. Les seules fois que les filles semblent m'apprécier, c'est pour les sports d'équipes. Elles se battent toutes pour moi pour être sûres de gagner. Ça me répugne.

Le programme d'aujourd'hui, c'est le volley. Je n'ai jamais vraiment aimé ce sport. Moi, je suis plutôt dingue du basket. J'en fais depuis mes 5 ans. J'en joue au hall omnisports de Jambes. J'ai l'impression que les filles de mon équipe sont les seules à savoir qui je suis vraiment, les seules qui me comprennent. Elles ne se sont jamais moquées de moi. Je me sens vraiment bien avec elles. Justement, le mercredi c'est le jour de mon entraînement, Ça commence à 18 h.

Après les cours, j'aime traîner dehors, peu importe la météo tant que je suis seule. Je sais que si je traîne en ville je vais tomber sur des gens de l'école et faut pas croire qu'ils font grève des moqueries quand la sonnerie annonce la fin des cours. On ne vit pas dans un monde de bisounours !

Où je vais alors ? Eh bien, comme je vous l'ai dit, je vis à la citadelle, en plein dans les bois. Je peux m'y balader pendant des heures sans voir le temps passer ! Il y a quelques mois, j'ai repéré un coin complètement désert avec un petit terrain de basket abandonné. Quand je dis « petit » ça veut dire qu'il y a une petite cour en béton et un panier de basket abandonné qui n'a même plus de filet. Je me rends là autant de fois que je le peux. Parfois, je joue au basket, parfois je danse.

Le hip hop est une de mes passions depuis que j'ai 12 ans. J'ai commencé par imiter des chorégraphies, et au fil des ans, j'ai abandonné ces « modèles » pour créer mes propres danses. Ces dernières se résument seulement à faire bouger mon corps sur la musique qui passe. Je reproduis les mouvements que la musique m'inspire. Je peux être gracieuse le temps d'une chanson et être une vraie bad ass l'instant d'après. C'est un peu comme jouer de la comédie et ça me plait parce que le temps d'une chanson, je ne suis plus Ambre. Je ne suis plus cette fille qui rêve d'avoir un corps d'homme, je ne suis plus cette fille qui est meurtrie par sa vie. Les moqueries et les insultes sont le prix à payer pour être bien dans son corps. Le sport et la danse m'aident à me laver de tout ça.

Par moment, je m'épate quand je danse. Les mouvements que produit mon corps m'étonnent chaque jour de plus en plus. Je n'ai pas une bonne opinion de moi, mais quand je compare ce que je fais avec des professionnels, j'ai l'impression que j'ai du talent. J'ai encore des choses à améliorer, mais je pourrais être du même niveau qu'un professionnel. Alors je me suis mis dans la tête que je pourrais devenir danseuse.

Étant donné que je viens d'entamer ma dernière année de secondaire, la question des études supérieures doit être abordée. C'est à mon retour du basket que la discussion a été entamée. Je pense que si ma mère avait le pouvoir de tuer n'importe qui avec un simple regard, je serais déjà morte un nombre incalculable de fois !

— Il va falloir aller aux portes ouvertes des hautes écoles et des universités cette année, dit maman. Tu as déjà une idée en tête ?

— Eh bien j'aimerais visiter une école d'art de Bruxelles..., réponds-je, peu assurée.

— Et en quoi consiste-t-elle ?

— Oh ils proposent diverses études...

J'essaye de ne pas dévoiler mes intentions, je la sens venir. Mais tourner autour du pot n'a jamais été mon fort...

— Oui mais TOI tu veux y faire quoi ?

— Je... La danse. J'aimerais y étudier la danse.

Mes parents ont suspendu leurs gestes. Ils devaient s'attendre à tout sauf à ça. Ils ne savent pas que je danse, je l'ai toujours caché.

— Je te voyais plutôt prof de sports, commente papa.

— Mais voyons, Ambre, tu n'as jamais dansé de ta vie ! Tu t'es toujours concentrée sur le basket !

— C'est pas parce que tu ne me vois pas danser que ça veut dire que je ne danse pas.

— Oui mais les gens qui entament ce genre d'études font ça depuis leur naissance, ils ont du talent.

— Ah donc tu insinues que je n'en ai pas ?

Maman m'a envoyé son regard de la mort qui tue.

— De toute façon, danser c'est pas un métier, conclut-elle.

— Je vois. Merci pour ton soutien.

J'ai pris mon assiette et mes couverts pour les mettre dans le lave-vaisselle et j'ai rejoint mon endroit préféré au monde.

TomBoy [en cours de correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant