Les deux pilules me détendent, je roule et je sais que ma conduite est dangereuse. Mais je suis ailleurs, perdu, je ne sais plus vraiment où je suis. Mes doigts tremblent en tenant le volant, et mes pieds appuient sur les trois pédales de manière désordonnée. Je passe difficilement les vitesses, je conduis très mal mais je me sens bien. Mes lunettes de soleil sur le nez, les cheveux au vent et mon nœud papillon bien accroché. Je m'autorise même à lever les bras en l'air énervant des automobilistes qui voient ma voiture dériver sur la voie de gauche. Je sais que je ne risque rien, je gère. Alors je ris, à gorge déployée. Je ris de mon insouciance, de mon bonheur, de mon cœur qui bat vite, de mes membres qui tremblent. Je freine d'un coup sec à un feu rouge et attrape mon portable. Clémentine m'a envoyé un message pour me confirmer notre rendez-vous de fin d'après-midi, je le repose rapidement quand un autre message de Mathiew arrive, je ne le regarderai pas. Le soleil de midi qui approche alors commence à chauffer mon crâne. Mon envie d'embrasser Clémentine refait surface, et je me laisse aller à imaginer ce baiser. Le feu passe au vert, j'enfonce mon pied sur la pédale, la voiture part dans un vrombissement furieux. Et je ris, comme un gamin fier de sa bêtise.
J'arrive chez moi, manquant de taper le rétroviseur de la voiture dans le portail ouvert du garage. Je pousse la porte de l'appartement, une douce odeur de gâteau embaume l'air de la pièce. Le mâle est là, l'ordinateur posé sur la table basse, des dossiers ouverts un peu partout et le corps rigide. Je m'approche de lui, tentant de garder une démarche droite. Je m'assois à côté de lui, il se retourne et pose son nez dans le creux de mon cou. Chaque baiser qu'il y pose m'envoie des petits coups électriques, je pose ma main sur ses hanches et soulève le tissus de son tee-shirt pour caresser sa peau. Je le pousse sur le canapé et me cale entre ses jambes. Nos lèvres se lient. Il ferme ses yeux. Quand il fait ça je sais qu'il a d'autant plus besoin de me sentir, de m'avoir : il me désire et il me le témoigne. Mon esprit est presque clair, au moins je sais qu'il ne m'embêtera pas avec ses explications mais je ne sais pas pourquoi il semble si stressé. Je me délie à contre-cœur de sa bouche qui a fini par rejoindre la mienne et lui demande d'une voix trouble :
- Qu'est ce qui se passe ?
- Un dossier bloque, il me manque quelque chose pour ce foutu pollueur. Il a pensé à tout, tout est bon, juridiquement il a le droit de polluer à 70% ce lac. Mais le propriétaire qui est un agriculteur ne peut plus y pomper de l'eau et n'a pas les moyens pour payer les frais de dépollution...
- Grosse pression. Tu as regardé les contrats ?
- Attends, attends, répète ce que tu viens de dire !
- Les contrats... Tu sais qu'il en faut un signé par les deux et c'est ça qui pose les limites d'utilisation. Souvent comme tout fonctionne ils ne pensent pas à le signer à nouveau... Si ça se trouve ton pollueur est dans l'illégalité de ce point de vue là seulement et si l'échéance de leur contrat est passée et donc que leur accord n'est plus valable.
La lueur dans ses yeux, un regard qui connecte tout, je l'ai aidé, j'ai réussi. Ce que je viens de dire est minime, je sais par expérience qu'il lui reste beaucoup d'heures à passer sur ce dossier, mais il est tellement talentueux qu'il réussira. Il me sert contre lui et son odeur tourmente délicieusement mes narines. Je mordille la peau de son cou, et descends doucement. J'arrive alors à la ceinture du short qu'il a enfilé. Mais il me stoppe, se redresse et me regarde avec inquiétude :
- J'ai appelé ton médecin ...
- Putain ! Mat' je sais ce que je fais ! Je sais ce que je prends !
- Je lui ai dit tes doses et tu en abuses. Tu dois arrêter d'en prendre autant voire plus du tout.
- Mais j'en ai besoin, je me sens stressé, je veux décevoir personne moi et surtout pas toi, ni Clémentine. J'ai besoin de la sensation des médicaments dans mon sang. Besoin de sentir mon rythme cardiaque se ralentir et mon esprit devenir doux !
- Tu te bousilles la santé, Mathias.
Il ne prononce jamais mon prénom en entier. Mathias et Mathiew, "Mat" est notre surnom commun, et c'est devenu un rituel entre nous. Quand il le fait, c'est parce qu'il est énervé ou alors quand il sent que l'orgasme arrive, que tous ses muscles se tendent et qu'il hurle "Oh je t'aime Mathias".... Ou lorsqu'il est inquiet. Je veux pas qu'il le soit, je sais que je gère les doses. Il n'avait pas à appeler mon médecin. Je peux me gérer tout seul. Alors je m'assois sur le bord du canapé et me lève, il essaie de me retire et me dit "Je suis désolé mais je t'oblige à arrêter de prendre ces médicaments, à te droguer comme tu le fais." Me droguer ? Suis-je un drogué ? J'avance les membres qui tremblent. J'avale ma salive et balance : "Mange si tu veux, je vais prendre une douche et aller dormir, j'ai rendez-vous dans quelques heures avec Clémentine".
Arrivé dans la salle de bain, le dos plaqué sur la porte, je me laisse glisser et atteins rapidement le sol. J'ai horriblement mal au crane, je gémis de douleur. Je déboutonne mon short, arrache mon nœud pap' comme étouffé, en manque d'air. Je jette la tête en arrière et aspire de grandes quantités d'oxygène. Tout tourne, vite, trop vite. J'appuie mes doigts contre les murs. Je ne sais pas combien de temps je reste là, je sais que Mathiew passe et repasse dans le couloir, comme pour m'entendre respirer, me savoir encore vivant. Et honnêtement, là tout de suite, je me sens presque partir. Un ange qui sent ses ailes pousser. Ou un démon qui sent le mal s'étirer en lui, prendre possession de son corps. Je me relève difficilement et retire tout vêtement, qui me comprime, me touche. Aucun contact sur mon corps. Le filet d'eau froide me surprend mais me détend rapidement. Je retrouve mes esprits, mes doigts recouvrent l'ensemble de mes courbes, je rejette mes cheveux en arrière. L'eau coupée, je rejoins le carrelage froid de la salle de bain et m'enlace d'une serviette. Je traverse le couloir et rejoins ma chambre.
Sur la table de nuit, la boite de médicament. Cependant, Mathiew l'a vidé. Toutes les boites cachées ont été vidé. Je vais à droite, à gauche, ici ou là. Mes doigts mêlés dans mes cheveux, je finis par hurler. Je m'allonge sur le lit et serre mes poings. J'ai envie de me sentir bien, j'ai envie de ces médicaments. J'en ai besoin. Besoin ! Je n'ai pas envie d'écrire, j'ai envie de l'embrasser. Des gouttes de sueur coulent sur mon front, je la vois qui s'approche. Son sourire se pose sur le mien. Je m'endors en l'embrassant.
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Le Paradoxe des étoiles.
General FictionDesign by Je suis un Paradoxe Les étoiles dans le ciel noir me font peur, elles semblent vouloir me souffler un message, des noms des gens partis. Les étoiles sont mystérieuses, parfois filantes, parfois éteintes. Tout semble si fragile et si fort...