Partie 10 - Confidences à la Bibliothèque

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"Le plafond est très haut, des tableaux ont été peint entourant des fenêtres qui éclairent cet énorme bâtiment. J'ai eu le vertige lorsque j'y suis venu la première fois, mon regard s'est perdu dans les innombrables livres. Je me suis accroché au comptoir en marbre et j'ai repris mes esprits. Depuis cette première visite, je récupère ma carte d'abonnement que me tend Martine Dufrand. Elle est française, drôle, aimable et charmante : le cliché parfait de la grand-mère parfaite. Les cheveux blancs bouclés plaqués par une fine couche de laque, un gilet de couleur unie toujours claire et avec exactement huit boutons. Je les calcule lorsqu'elle redresse ses lunettes et range les livres que je lui rends. Elle me propose un biscuit, que j'accepte rarement, puis m'offre un joli sourire de ces fines lèvres rouges.

J'avance vers les étagères en bois qui recouvrent le parquet du rez-de chaussé et de l'étage.  Celui qui subit mes pas rapides et affirmés. Au centre, une énorme allée, avec de nombreuses tables en bois. Je sais les références des rayons, les détails, les habitués, les sorties de secours, les portes qui bloquent, les portiques de sécurité qui sonnent à chaque fois que l'on passe devant. Bref cette bibliothèque a été le témoin de beaucoup d'années de ma vie. Clémentine est assise à la table de John. Ah John, le beau gosse écossais à qui j'ai donné quelques cours de français. Il a réussi à avoir son examen il y a un an et depuis les murs de la bibliothèque réclament un nouveau co-équipier pour son Flynn Carson* que je suis. Je le vois encore à la place de Clémentine qui me fixe avec son sourire et quelques livres à la main, se frottant les cheveux pour comprendre ce qu'il lisait en français. Il apportait toujours son ordinateur mais il finissait toujours par emprunter le mien. 

Parfois sa copine l'accompagnait à la Bibliothèque, l'embrassait et le laissait seule avec moi pour déambuler dans les nombreux rayons de livres. Elle avait une manie que j'ai fini par comprendre. On comprend facilement les gens en observant leur quotidien. Elle filait dans les livres d'histoire, ensuite elle trompait les regards malveillants en se dirigeant vers les livres de Sciences, mais ne s'en préoccupait même pas. Elle finissait par s'abaisser après avoir longuement observé les alentours et prenait des livres pour les femmes enceintes. Elle a annoncé sa grossesse quelques mois plus tard à John, et le petit homme s'appelle James. Un prénom qui m'a beaucoup aidé par la suite d'ailleurs. Maintenant John m'envoie quelques mails et ça me plait d'avoir de ses nouvelles. Cependant, j'espère sincèrement que Clémentine ne finira pas par être un simple contact favori de ma boite mail. Je la salue par une accolade et rapidement elle me présente les livres qu'elle a sélectionné.

A chaque titre, elle s'emporte, m'explique pourquoi la lecture d'un de ces livres l'a bouleversé, aidé. Je prends des notes. Mes cheveux sont bien coiffés , j'ai vérifié grâce au reflet dans mon ordinateur. Mes lunettes sont posées sur l'arrête de mon nez et je n'aime vraiment pas les porter en public, mais après tout ce lieu est ma deuxième maison. Je décide finalement de ne pas utiliser mon ordinateur et je prends mes notes sur mon carnet où je trace quelques traits de surligneurs. Je passe régulièrement ma langue sur mes dents pour vérifier qu'aucun aliment n'est coincé entre. Je ne veux pas qu'elle se déconcentre en fixant quelque chose de travers chez moi. 

Elle arrive au dernier livre "The fault in our stars" de John Green*. "Nos étoiles contraires". Elle me raconte à quel point cette histoire l'a touchée, elle s'est vu aussi dans cet espoir de cet amour malgré la maladie. Les larmes coulent sur ses joues "Je sais que c'est niais mais bordel j'avais qu'un Augustus me voit moi et pas celle, malade, fragile. J'avais envie qu'un garçon m'embrasse et que je m'évanouisse dans des espoirs futiles. Là je pensais qu'au présent, j'en avais marre .... tellement marre". Je sèche mes propres larmes avant de tendre ma main qu'elle saisit vivement. Elle reprend son souffle et retend le tissus rose fuchsia des paumes de sa main. Elle a lissé ses cheveux qui paraissent plus longs. Mais après tout, je ne vais pas jouer l'hypocrite, j'aurais sûrement vu la fille malade et fragile aussi, j'aurais trouvé ce sourire charmant mais je n'aurais jamais osé penser frôler ses lèvres des miennes un jour. Je la connais, guérie, une confiance en elle forte, pas la jeune Clémentine diminuée par les traitements et la chimiothérapie pour chasser sa leucémie.

Le Paradoxe des étoiles.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant