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C'était...différent. Là, on ne pouvait pas reprocher le manque de lumière. La pièce était déjà plus vaste, un parfait cube dont murs, sol et plafond étaient fait du même bois clair, parfaitement éclairé par quatre luminaires symétriquement disposés. Un par mur.
Quatre luminaires. Quatre bancs en bois. Quatre portes, dont celle que je venais de passer. Pas de fenêtre. La pièce avait des airs de...sauna.
Trois ados.

"-...Ashley? Ashley Robins?"
Assis chacun sur un banc opposé, deux garçons. Je connaissais de nom l'un d'eux, c'était un mec de ma classe, bien qu'on ne s'était jamais vraiment parlé. Quant à l'autre, s'il avait un physique de grosse brute massive typique des clips de rap noirs américains, il était terrifié de la situation et suait à grosses gouttes, tout tremblant.

"-...Tu es...Daavis, n'est-ce pas? On est dans la même classe?"
Ma voix était hésitante et pâteuse, et mon cerveau n'arrivait pas à digérer toutes les informations qui arrivaient.
"-...Qu'est-ce tu fais ici? entamai-je.
-J'allais te poser la même question.
-Et bien, pour être honnête, j'en ai aucune putain d'idée. Je me suis réveillée il y a quelques minutes dans le noir complet, et mon souvenir le plus récent remonte à deux jours. J'ai ensuite atterrit dans une sorte d'entrepôt où une...vieille télé m'a "sauvegardé ma progression" et m'a indiqué où était cachée la clé pour que j'ouvre un passage et que j'arrive ici."
Il me considéra un moment, le regard vague. J'avais jugé meilleur de ne pas parler du poignard ensanglanté caché dans ma poche "au cas où".
"-Je sais, ça parait fou, mais dis-moi que tu me crois et que tu sais au moins où on est.
-Je te crois, Ashley. C'est à peu de choses près le même scénario pour moi. Je me suis réveillé sans souvenirs dans le noir, mais je suis arrivé dans un genre de toilettes publiques où un écran interactif m'a indiqué un temps et m'a ensuite demandé si je voulais "sauvegarder"-j'ai dit oui- avant de m'indiquer la sortie pour me retrouver ici. Je dois bien être là depuis...pratiquement une heure, je dirais. A mon arrivée, il était déjà là, fit Daavis en indiquant le garçon terrifié à l'autre bout de la pièce."

Je l'observais. Même si finalement je ne le connaissais pas vraiment, avoir trouvé Daavis et pouvoir savoir que je n'étais pas seule dans cette galère m'avait rassuré. Mais lui, il était vraiment seul.
"-Tu sais qui c'est? j'interrogeai.
-Non, jamais vu, répondit Daavis. J'ai essayé d'engager la conversation, mais il s'est pissé dessus."

Je m'approchai et m'accroupis vers l'inconnu, qui devait avoir tout au plus deux ou trois ans au-dessus de nous.
"-Hé...moi c'est Ashley, tentai-je. C'est quoi, ton nom? T'es là depuis longtemps?"

Il releva la tête et arrêta de geindre quelques secondes, pour recommencer de plus belle. Je crus distinguer un genre de prière.
"-...Je crois que c'est peine perdue, conclus-je."
Je me redirigeais vers Daavis.
"-Et vous n'avez rien trouvé ici? Pas d'indice, de message?
-Rien. On ne peut même pas retourner de là où l'on vient, il n'y a pas de poignée de ce côté.Mais regarde autour de toi. Quatre lampes, quatre bancs, quatre portes. Et on est trois. Je suis pratiquement sûr qu'on attend le dernier avant d'avancer, et qu'il va sortir par-là."
Il montra la dernière porte, qui faisait face à celle d'où j'étais arrivée.
"-J'espère simplement qu'il ou elle ne va pas prendre trop de temps. J'en ai déjà marre d'attendre, fit Daavis.
-Et dire qu'on est censés être en cours en ce moment...continuais-je.
-Pas forcément, c'est ça qui me fait peur. Nos derniers souvenirs remontent à jeudi soir, pourtant si je te suis bien on est inconsciemment sûrs d'avoir fait quelque chose d'hier mais de l'avoir oublié, et de s'être réveillé ici le lendemain matin, soit samedi. Mais imagine que l'on ai dormi ou oublié bien plus qu'une journée? En vérité, on pourrait être en pleine nuit trois semaines plus tard qu'on le saurait pas."

Je frissonnai d'horreur à l'idée de ce cas de figure. Des semaines? La police nous aurait retrouvé, non? Est-ce qu'on s'était déjà rendus compte de notre disparition? Ma mère, que faisait-elle? Et si on lui avait fait du mal? Que devenaient Mia et Bren, mon petit ami? Il valait mieux pour moi que j'arrête de penser à tout ça avant de finir comme l'inconnu. Si je ne connaissais Daavis que parce qu'il était dans ma classe depuis deux ans, je savais deux choses de lui: un, c'était une vraie tête, le cerveau de la classe, toujours bon premier. Deux, il pouvait se montrer très facilement froid avec qui que ce soit et mieux valait ne pas se le mettre à dos.
Nous restâmes quelques minutes, le regard vague, perdus dans le silence interféré par les sanglots de l'inconnu.
"-C'est quoi ton dernier souvenir? fis-je à Daavis, curieuse, en essayant de retrouver une part de ma mémoire.
-J'étais dans mon lit, jeudi soir. Je lisais le dernier Werber, il devait être 22h, puis je me suis endormi. Et puis plus rien. Je sais que j'ai fait quelque chose de ma journée le lendemain, mais...
-...impossible de t'en souvenir, hein? Même chose pour moi. J'étais avec Mia, ma meilleure amie, en conversation vidéo avant d'aller dormir.
-Tout ça est vraiment étrange...finit-il. Question bête, mais les trous dans ton t-shirt, ça y était déjà?"

Je m'auto-fixais. Effectivement, en dessous ma veste ouverte, mon t-shirt noir était troué et déchiré a plusieurs endroits. Je rougis.
"-...Non, ça n'y était pas.
-Moi, j'ai eu le droit à des bleus sur les tibias qui n'étaient pas là avant, ajouta-t-il en relevant son pantalon légèrement."

Il avait des jambes plutôt fines, comme tout le reste de son corps. Daavis n'était pas du genre tas de muscles; il était grand et mince, et sa peau pâle tranchait avec sa tignasse brune foncée désinvolte. Il était plutôt mignon, maintenant que je m'y attardait, moi qui n'avait jamais vraiment fait attention à lui auparavant. Mignon, mais pas mon genre.
"-...Ashley, je peux te demander quelque chose?
-Et bien oui, vas-y.
-Tu es d'accord que, dans notre situation actuelle, il faut se serrer les coudes...
-Evidemment.
-...et ainsi être tout à fait honnête entre nous, si quelqu'un trouvait un indice, un message ou même un objet quelconque pouvant nous aider?"

Je n'aimais pas beaucoup la manière dont il avait insisté sur l'objet quelconque. Avait-il deviné, pour mon poignard? Non, impossible, ma veste était trop large et masquait bien sa présence. Par contre, il avait de sérieux doutes...qui portaient à croire que lui aussi possédait une arme.
Ça se corsait.
"-...Naturellement, Daavis. Je ferais tout mon possible pour nous sortir d'ici si jamais je trouvais quelque chose", rétorquais-je de la manière la plus innocente et persuasive possible.
Il parut y croire, ce qui me rassura. Après tout, il n'avait aucune preuve contre moi.
Soudain, une voix inconnue sortit des sanglots du fond de la pièce.
"-...M...Moi, j'ai trouvé ce tr...truc dans un cageot. Je s...sais pas ce que c'est."
C'était l'inconnu qui avait parlé. Enfin. Il avait sortit de sa poche un espèce d'embout en métal creux de la taille d'une paume, qu'il tendait vers nous dans sa main tremblante.
Daavis et moi se précipitèrent vers lui. Daavis lui arracha presque pour l'observer de plus près.
"-...Je...Je m'appelle...Treik. J'ai...19 ans.
-Salut, Treik. Moi c'est Ashley, et lui c'est Daavis. On a tous les deux 16 ans. Alors, t'es dans la même merde que nous?
-J'en ai 17, corrigea Daavis.
-Je...je me souviens de rien n- non plus, je me suis réveillé dans une es-espèce de cuisine délabrée après être sorti du n-noir...il y avait un or-dinateur qui a donné mon n-nom et un t-temps comme vous...j'ai pris peur et je l'ai fra-frappé, ça l'a éteint direct...j'ai vu des clés et ce truc dans un ca-cageot et j'ai filé...ça fait bien 2 heures que je suis là...Je sais pas pourquoi...mais putain ce que je veux me casser."
Il bégaya encore, affolé. Il devait avoir eu la trouille de sa vie, et sentait encore fortement l'urine.
A vrai dire, moi aussi, j'avais sacrément envie de pisser, et aucun moyen d'aller aux chiottes dans un endroit pareil. Depuis combien de temps je n'y étais pas allé?

"-...Je comprends rien à ce truc non plus, conclut finalement Daavis. Et je vois nulle part où on peut l'encastrer pour débloquer une issue. Tiens, reprends-le."

J'ouvris la bouche pour suggérer quelque chose, mais un claquement sourd se fit entendre.
La quatrième porte venait de s'ouvrir.

TRAP GAME-Prise au piègeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant