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On aurait du se faire repérer. Avec N sur les bras, on avait pas eu la moindre chance de passer inaperçus en se cachant à terre pour observer ce qu'il se passait. Pourtant, ils ne nous firent pas, bien au chaud dans leur cabane avec électricité, et on pu les observer de notre planque.
«-Ils sont cons ou quoi? Ils vont se faire repérer à des kilomètres comme ça, fit N.
-Peut-être qu'ils sont qualifiés et n'ont plus à se faire du soucis...raillais-je. Attend, je crois que j'entend quelque chose.»
En effet, des cris se faisaient entendre. Par la fenêtre, je ne distinguais plus que Bren, qui semblait énervé. Le visage de Mia avait disparu.
«-DIS-NOUS! DIS-LE NOUS, ENCULÉ! QU'EST CE QUE VOUS AVEZ FAIT POUR VOUS QUALIFIER? J'AI LA MEUF, CA AURAIT DU MARCHER!»
Bren restait de marbre. On entendait plus rien apart des pleurs féminins.
Puis un gémissement étouffé.
Et un grand silence.
Bren etait resté figé. Qu'est ce qu'il se passait à l'intérieur, merde? C'était horrible d'avoir le son mais pas l'image.
Puis, après réflexion, je me dis que je n'aurais pas du parler si vite.
Je me serais bien passée de l'image.
La porte s'était ouverte. La silhouette de Bren s'était fait reconnaître. Il trainait deux corps sans vie derrière lui, et alla les cacher derrière le cabanon.
Je ne conaissais pas le gars, qui devait être le camouflé. C'était un grassouillet aux cheveux très courts. En revanche, le corps de la fille noire sur lequel se distinguaient encore ses dernières larmes me fit manquer un battement. C'était Amawa Nbando, une amie d'enfance et voisine de table dans plusieurs cours au lycée. Sa mort me terrifia encore plus que je ne l'étais deja-si cela était possible. Je priais pour que Bren ne nous repère pas, mais heureusement nous étions assez éloignés. Il rentra dans la cabane, et par la fenêtre je pus le voir...embrasser copieusement Mia.
Merde, ce que ça faisait mal.
Je dus me mordre les phalanges pour m'empêcher d'aller tout foutre en l'air. J'aurais pu, par exemple, lancer mon poignard et viser la tête de mon ex-meilleure amie, avant d'aller m'en prendre à Bren et lui arracher les ongles un par un. Le faire souffrir comme il me faisait souffrir etait une idée alléchante.
Mais je ne pouvais pas tuer. Pas comme ça. Je devais rester saine, car c'était précisément ce que le jeu voulait que je fasse pas.
Et puis de toute manière, j'étais nulle en lancer de couteau.

Je compris que les choses tournaient mal quand je me rendis compte que N parlait de moins en moins et perdant de plus en plus de sang. C'est dans ces moments que je regrettais d'avoir séché mon stage de secourisme. Il faisait une putain d'hémorragie.

«-Merde merde merde...»
J'attendis que Bren s'éloigne de la fenêtre et éteigne la lumière pour bouger. N ne tenait même plus sur ses jambes.
«-Putain de...clebards...» murmura t-il entre deux plaintes douloureuses.
Au bout de dix minutes, je jugeais que ce n'etait plus possible de continuer ainsi.
«-Ecoute, N. Tu es mon binôme dans ce jeu de fou. Mais tu es incapable de donner plus que ce que tu as déjà donné, on peut pas continuer comme ça. Alors je vais te foutre dans un endroit planqué, comme ça ni les chiens ni les tarés ne viendront t'attaquer, et tu vas m'attendre sagement sans faire de conneries, d'accord? Pendant ce temps, moi, je cherche ce qu'il faut pour nous qualifier, j'irais bien plus vite seule, et je reviens te chercher ici après.»
Je vis qu'il allait s'y opposer, mais il n'en eut pas la force.
«-...Ok, fit-il simplement.»
Je trouvais une espèce de renforcement dans les arbres et le fit passer difficilement derrière les racines. Je lui promis de revenir, puis cacha le tout avec des branchages, et m'éloignait.
De temps en temps, il me semblait entendre des cris au loin, mais ce n'était que le vent, du moins j'essayais de m'en persuader.
Au bout d'un moment où je commençais à avoir la désagréable sensation de tourner en rond, un bruit familier à mes oreilles se fit entendre: un clapotis. De l'eau, il y avait un point d'eau pas loin.
Je me repérais à l'ouïe, ne voyant pas grand chose, et arrivais devant une sorte de micro-cascade.
J'avais mortellement soif et me sentais sale, je m'en rendais compte désormais. Me passer de l'eau sur le visage me fit le plus grand bien.
Je frémis en voyant mon visage se refléter sur l'eau. Mon dieu ce que j'avais mauvaise mine. Visage creusé, cernes monstrueuses. Ma cicatrice etait plus sanglante que je le pensais, cette salope ne m'avait pas raté. J'avais du sang séché partout. Je me dégoutais.
Un instant, j'eus envie de plonger.
J'aurais mieux fait de me taire intérieurement.
L'instant d'après, je me noyais, me debattais dans le vide sans arriver à remonter. On m'en empêchait volontairement. Quelqu'un voulait ma mort.
J'eus un petit rire.
Non. Tout le monde voulait ma mort.
Apart peut-être N, qui voyait en moi son dernier espoir de survie.

Je voyais la surface. Mais je ne pouvais pas y accéder. Une main plongeait ma tête sous l'eau alors que j'essayais de remonter. Je ne respirais plus. Je me noyais, l'eau penetrait mes poumons. C'était une horreur.
Je me laissais couler, perdant peu à peu connaissance.
La surface s'éloignait...quand une main en sortit, tatonnant l'eau, m'effleura et attrapa la mienne.
Je me sentis être hissée hors de l'eau...pu de nouveau respirer, l'air gonflant mes poumons pleins d'eau. Allongée au sol, je recrachais toute l'eau absorbée, retrouvant pied avec la réalité.
«-Merde, mais qu'est-ce que tu foutais là dedans? Qu'est-ce qui t'es passé par la tête, on est dans un jeu mortel et toi, tu piques une tête?! On est pas à la piscine municipale ma vieille, si tu sais pas nager, je serais pas toujours là pour te récupérer!»
Il me fallu quelques longues secondes pour retrouver la parole, percuter ce qu'on m'avait dit et réaliser qui se trouvait à mes côtés. Nona.
«-C'est...c'est pas toi qui a essayé de me couler?
-Quoi?! On a essayé de te buter?»
Je lui jetais un regard noir.
«-Sinon je n'aurais pas fini dans cet état, à couler volontairement au fond d'une stupide mare tout habillée.»
Elle sembla ignorer mon sarcasme.
«-Je passais près de là, bon ok....je fuyais, quand j'ai entendu du bruit par ici. J'ai rappliqué et j'ai vu que quelque chose bougeait dans l'eau. T'as eu de la chance que j'arrive à temps!
-...Tu n'as rien vu d'autre?
-Je crois pas, non. T'as pas vu qui t'as fait ça?
-Non, personne. Je me rafraichissais au bord de l'eau, quand on m'a poussé violemment et on m'a empêché de remonter à la surface. On cherchait clairement à me noyer. Et on a failli réussir.
-On t'en veux, apparemment.»
Je reprenais mon souffle, calmement. Quand etait-ce la dernière fois que j'avais eu une vie paisible? Cela me semblait tellement loin...
Une question me vint:
«-Qu'est-ce que tu fuyais, exactement? Tu as trouvé ton binôme, tu sais comment le valider, toi qui trainait avec Bren et Mia qui se sont qualifiés, non?»
Il y eut un court silence. Elle entrouvrit les lèvres, prête à donner une réponse, mais avait l'air soudain...anxieuse. Elle detourna le regard pour soudain fixer quelque chose derrière moi.
Je n'eus pas le temps de me retourner pour voir ce qui l'inquietait ainsi.
Je me retrouvais encore une fois dans le noir.
Ça commençait à devenir une habitude désagréable.

TRAP GAME-Prise au piègeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant