Un arbre

143 27 38
                                    

Le vent souffle sur la cime des arbres, sifflotant la symphonie de la solitude. 

Un arbre seul se dresse. Beau, élégant, distingué. Son bois sculpté souligne son déhanché.  Qu'on vienne seulement le couper à la hache !  Provocateur, quel panache ! Les nœuds de son écorce dessinent ses traits : un tronc large, des racines bien encrées. Comme les nuées terrestres sentent l'humidité ! Le sol sent la fraîcheur, les feuilles l'humilité. Vertes, elles se laissent secouer, le temps d'une berceuse, par cette symphonie au loin. Cette symphonie malheureuse.

L'arbre est encerclé, ses semblables l'entourent. Ils restent là, de marbre, semblables à des vautours. A quand la proie, à quand la proie ! Qu'on le broie, qu'on le broie ! Se croit-il roi ? Se croit-il roi ? 

Les corbeaux croassent, pendant que le rossignol chante. L'arbre est si vivant, sa beauté l'enchante. Le tapis de verdure sourit au nez de l'arbre. Les branches des autres sont tranchants comme un sabre. Pourquoi tant de peine, dans un monde presque innocent ? La bonté est comme la haine, le gentil comme le méchant ? 

L'arbre se réveille, étend ses branches et pose. La lumière l'enjolive, comme les rimes pour la prose. L'arbre resplendit, dans ces bois inexplorés. Oh que fait-il seul ? N'a-t-il qu'un compagnon, dans cette sombre forêt ? 

Le rossignol chante, et les corbeaux restent noirs. Cet arbre chante aussi, il accueille le soir. Il n'a plus aucune lumière, mais son cœur reste chaud. Qui distinguera les autres arbres de son cœur d'artichaut ? Sa robe est noire à présent et la nuit drape les cimes. Drapera-t-elle aussi son cœur ? Ou l'a t-elle en bon estime ? 

Il fait si froid, le rossignol ne chante plus. Même les criquets à présent se sont tus. Un craquement, des pas, puis une lumière apparaît. Froide, elle aussi, l'arbre est déçu. Le rossignol lui, de ses ailes est déchu. Un chasseur chasse, l'arbre l'a vu. L'arbre pleure son ami, l'arbre perd la vue. 

Les arbres se lèvent, comme tous les autres matins. Que connaissent-ils aux rêves ? Que connaissent-ils au destin ? Les arbres se moquent, de leur frère, sans plus charme ni grâce. Grâce ! Grâce ! 

Les arbres l'encerclent, étouffent sa verdure. Les racines s'y plantent, accroît leur envergure. Des feuilles naissent, absorbent la lumière. Le miroir de sa vie serait donc cette triste serre ? Les corbeaux sont sur l'arbre, ils y plantent leurs serres. 

L'arbre suffoque. Que faire ? Misère !  Est-ce un crime de réclamer la lumière ? Est-ce un crime d'être beau ? N'éprouvent-ils donc rien à ces mots ? Qu'importe, trop douloureux sont ces maux. Un arbre aveugle, sans lumière, ne peut dire un mot. Qu'on l'enferme vite ! Qu'on le jette aux termites !

Il fait si froid, le rossignol ne chante plus. Un chasseur chasse, l'arbre l'a vu. La hache aux mains, il lui coupe le cœur. Et les corbeaux chantent en chœur. 


Petite  grande NatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant