Chapitre 01

10 2 1
                                    

     La ville était couverte de gros nuages cet après-midi-là. C'était le genre de temps qui vous criait qu'il vous fallait vous hâter de courir chez-vous pour ne pas finir trempé jusqu'aux os...

Pourtant, les passants ne semblaient pas se soucier de l'orage qui s'annonçait ; les conversations, les rires et la musique sortant des radios donnaient l'impression d'un brouhaha ambiant qui aurait pu même recouvrir le tonnerre.

Et au milieu de cette foule animée, deux adolescents marchaient le long de cafés et de bars, pas plus inquiétés que leurs congénères de l'air qui s'alourdissait.

Le plus petit, mince et pâle, avait pour nom Jack. Il n'était pas bien causant et se contentait, la plupart du temps, d'hocher la tête quand vous vous adressiez à lui. Il avait cet air de garçon studieux, toujours plongé dans un livre ou pris par des pensées tourbillonnantes.

Il était accompagné par son ami –et on pouvait même dire le seul qu'il considérait comme tel, un certain Wael, qui semblait se charger avec grand plaisir de faire la conversation. Lui non-plus n'était pas très costaud et ne faisait à peine que quelques centimètres de plus que Jack. Il avait néanmoins un air plus malicieux, propre à ceux se construisant leur propre univers de merveilles.

Tous deux étaient étudiants à la même faculté, et inscrits aux mêmes cours.

Ils se connaissaient depuis le lycée, réunis par un isolement commun. Aucun des deux ne criait ou ne parlait trop fort. Ils aimaient se réfugier dans les bibliothèques ou dans les petits parcs peu fréquentés et n'éprouvaient guère le besoin de sortir tard le soir pour ne rentrer qu'au petit matin, ivres de fatigue. Chacun avait trouvé en l'autre une sorte de réflexion de sa propre personne et de ses goûts, si bien qu'ils avaient, inopinément, commencé à se trouver aux mêmes endroits, au même moment et avaient naturellement sympathisé...

« Tu savais qu'ils vont exposer les tableaux de Luz cet été ? Lâcha soudain Wael alors qu'ils dépassaient une librairie.

- Vraiment ? T'es sûr ?

- La Grande Galerie l'a annoncé sur son site... J'imagine que ça doit être officiel.

- Mais il a fait polémique récemment, non ? Ils ont comme même eu l'autorisation ? »

Wael haussa les épaules.

« C'était ses toiles sur les Ogres qui avaient fait parler d'elles, continuait Jack pensif, trop violentes selon notre bon gouvernement...

- D'après l'article, il y aura tout son travail des trois dernières années alors ils ont dû dépasser ça... En même temps, c'est un peu ridicule, c'est que de la peinture... Mais les Ogres, c'est un sujet sensible...

- D'ailleurs, j'ai entendu dire que des cours pour les reconnaître vont être intégrés aux programmes scolaires d'ici un an ou deux.

- Et comment on reconnaît un Ogre ? Questionna Wael faussement soucieux.

- Ils ont le regard vide et la peau très pâle, tellement qu'on peut voir les veines, déclama Jack d'une voix monotone et sentencieuse, ils marchent très lentement en pliant les genoux pour mieux te sauter dessus quand tu passes à leur portée...

- Charmant...

- Ils empestent aussi le sang. Il paraît qu'ils en sont tellement souvent recouverts qu'il en reste toujours sur eux... Il paraît aussi qu'ils peuvent flairer leur proie à l'autre bout de la ville !

- « Il paraît » beaucoup de choses, releva Wael avec un sourire moqueur, c'est précis chez-toi... Je me sens nettement plus en sécurité maintenant...

OgresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant