Ogres

Chapitre 10

    Après que l'éclair aveuglant eut déchiré l'atmosphère, un silence pesant s'installa comme si toutes les âmes présentes retenaient leur souffle. Les gravats retombèrent comme une pluie tranchante et Jack les regarda fondre sur lui, incapable de bouger le moindre muscle.

Ce fut Lia qui le tira, au dernier moment, pour l'écarter. Quand il croisa son regard, il y vit une peur qu'il n'aurait jamais imaginé... Elle fixait l'ouverture, les tanks et les hommes qui en sortaient, tout en protégeant le jeune homme de son mieux.

Tous deux avaient réussi à se réfugier derrière un mur abattu et voyaient les pierres voler à quelques centimètres de leurs têtes respectives, ricochant parfois à une vitesse étourdissante.

Jack avait la tête qui tournait quand il se releva, des coupures sur les bras et les genoux en feu. De la poussière dégringola de ses vêtements, révélant le tissu déchiré, réduit en lambeaux misérables. Lia n'était pas mieux : il voyait ses coudes à vif et le sang maculant ses joues. Elle s'était débarrassée de son air hagard et regardait autour d'elle comme si le spectacle qui se déroulait devant ses yeux n'était qu'une image sur un écran.

Difficile, pourtant, de faire abstraction de la vision d'apocalypse qui les entourait : des petites maisons de taule, de briques et de voiles, ne restaient qu'une bouillie illisible et tordue. Le paysage avait disparu comme si un géant en avait retiré une partie de son énorme main.

     « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

     C'était une question stupide mais Jack n'avait pas pu la retenir, elle était tout ce qu'il trouvait à dire devant un désastre de cette ampleur.

    « Ils nous ont trouvé »

     La voix de Lia était éteinte, lointaine, mais Jack n'écoutait déjà plus :

     « Les autres...

     - Si ils ont eu de la chance, ils se sont enfuis. Sinon, ils ont fini comme lui. »

    Il tourna la tête dans la direction qu'elle lui indiquait : un amas de pierres et de bois en miettes duquel dépassait un bras, du moins, ce qu'il en restait.

Jack sentit une poigne glacée se saisir de son ventre et le tordre. Il avait de vomir, de s'enfuir, mais son corps restait obstinément immobile et ses yeux verrouillés sur ce bras, cette chair déchiquetée, incapable de penser à autre chose.

     Et puis, soudain, le son revint. Comme si on avait appuyé sur un bouton, les cris, les pleurs, les suppliques, tout atteignit ses oreilles en seul coup et Lia dut l'attraper pour l'empêcher de tomber.

     « Il faut qu'on parte d'ici, tout de suite, murmura-t-elle dans son oreille. »

     Le jeune homme obéit et la suivit aussi vite qu'il le put, tentant de garder son équilibre alors que les pierres roulaient sous ses pieds.

Tandis qu'il avançait, il voyait d'autres corps, prisonniers des débris, méconnaissables. Les hommes marchaient dessus, sans s'en préoccuper, tirant les survivants en état de marcher pour les rassembler sur ce qu'il restait de la place et abattant les autres.

     « Ils vont tuer tout le monde, s'étrangla Jack.

    - Pas sûr. Ils ont l'air d'en vouloir un maximum vivants... »

     Ils avaient atteint un endroit suffisamment à l'écart pour ne plus regarder derrière leur épaule... Là non-plus, il n'y avait pas grand-chose d'encore debout et Jack attira l'attention de Lia sur un homme qui essayait, en vain, de s'extraire des décombres.