Chapitre 05

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    Le jour déclinait. Le soleil de cette fin d'après-midi jetait ses derniers rayons à travers la vitre d'un appartement. A l'intérieur, une femme restait assise à la table de la cuisine. Son regard était perdu dans le vide et ses yeux cernés. De temps à autres, elle tendait le cou pour jeter un œil au bout de cour qu'elle apercevait depuis sa fenêtre comme si elle attendait quelque chose qui ne viendrait jamais.

Cela faisait plus d'une semaine.

Elle savait ce qu'il s'était passé. Ces hommes en costume s'étaient chargés de le lui apprendre. Elle ne les avait pas cru, elle ne pourrait jamais, mais ils avaient été très clairs : la prochaine fois qu'elle les verrait, c'est qu'ils l'auraient capturés et très certainement exécuté.

Jack.

Elle étouffa un sanglot. Elle ne voulait pas se mettre à se morfondre. Jack était un enfant courageux. Et bien plus malin que ce que certains pouvait le penser. Elle le savait, il était quelque-part, en vie. Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer que, d'un moment à l'autre, il allait pousser la porte de l'entrée et que tout redeviendrait comme avant.

Quelqu'un frappa.

Elle se précipita, bondissant de sa chaise à la porte et l'ouvrit sans même regarder dans le judas pour trouver une petite fille. Elle n'avait pas plus de sept ans et la fixait avec de grands yeux étonnés :

    « Mme Hilty ? Maman voudrait savoir si vous avez du sucre... »

     Elle resta un moment sans bouger ce qui eut l'effet d'inquiéter encore plus la fillette qui se doutait qu'elle attendait quelqu'un d'autre.

     « Entres Lily, excuses-moi pour le désordre. »

     Mme Hilty ouvrit grand la porte pour l'inviter et la petite s'engouffra à l'intérieur en trottant comme une souris.

Pendant que la mère de Jack fouillait dans son placard, Lily s'était assise à la place qu'elle occupait plus tôt et tripotait une orange.

     « C'était qui les hommes de la dernière fois ? »

     Elle avait lâché ça d'une voix innocente mais on sentait très bien une pointe d'inquiétude derrière.

     « Rien de grave. Ils voulaient juste me poser des questions. »

     Mais elle n'avait pas l'air satisfaite.

    « Maman m'a dit qu'elle les avait déjà vus. Après que papa ait disparu. »

     Mme Hilty suspendit son geste alors qu'elle sortait la boîte contenant du sucre. Elle savait que Lily avait perdu son père alors qu'elle n'était encore qu'un bébé mais ignorait dans quelles circonstances...

     « Je ne savais pas... »

     Elle la regarda franchir la porte pour rentrer chez elle et lui fit un signe de la main avant qu'elle ne disparaisse quand, soudain, la petite fit demi-tour et revint vers elle :

     « J'allais oublier ! On a laissé ça pour vous ce matin (elle sortit une lettre de sa poche), ça avait l'air important, désolée... »

     Mme Hilty récupéra le papier tout froissé d'avoir passé la journée dans la poche de la fillette et se jeta dessus dès que cette dernière eut quitté l'appartement.

Le message était court. Une ligne seulement, des caractères noirs, imprimés qui lui firent l'effet d'un nœud se désintégrant à l'intérieur de son estomac :

Tout va bien. Jack est sain et sauf. Il s'est enfui et se trouve avec nous dans un lieu sécurisé. Méfiez-vous des autorités. Lia.

Elle serra le papier de toutes ses forces contre son cœur. Pour le moment, elle n'avait pas besoin d'en savoir plus. Jack allait bien. Il était dans un endroit sûr.



    Bien loin de ces tracas, Jack tentait de suivre au mieux une Lia qui le traînait à travers le marché. Elle lui avait simplement dit qu'ils allaient lui chercher des vêtements et s'appliquait maintenant à trouver un étalage qui correspondait à ce qu'elle voulait.

    « Où est-ce que vous trouvez tout ça ? S'étonna-t-il en passant devant un étal de bricoles en métal.

     - Dans les poubelles, la plupart du temps. Des fois, on nous aide de l'extérieur. Des amis qui ne sont presque plus surveillés et qui peuvent se permettre de nous envoyer de quoi nous aider.

     - Je vois... C'est aussi comme ça que vous faites pour la nourriture ?

     - Oui. »

    Elle s'arrêta finalement et poussa le jeune homme parmi de gros tas de toutes sortes de vêtements et il entreprit de fouiller pour en trouver à sa taille.

     « Tu devrais pas tarder à te trouver des trucs à faire, continuait Lia en soulevant des t-shirts par-ci par-là, il y a pas mal de boulot.

     - D'accord, pas de problème. J'ai déjà aidé à faire des travaux à la boutique de mère. Elle tient une boulangerie.

    - Si tu sais en plus faire des gâteaux, tu vas devenir l'idole des gamins.

     - Il y a des enfants ici ? »

     La jeune fille tourna la tête dans la direction de l'allée et lui désigna un groupe d'enfants d'un peu moins d'une dizaine d'années qui jouaient au ballon.

     « Certaines personnes ne peuvent pas se permettre de laisser leur famille derrière-eux alors, si elles le peuvent, elles les amènent ici... »

    Elle se détourna pour lui jeter une veste sur les bras et le dépassa sans rien ajouter mais Jack eut du mal à se détourner de la vision de ces gamins. Il se demandait si ils allaient passer toute leur vie enfermés sous terre...

Il sursauta quand l'un d'eux tomba et se mit à pleurer à chaudes larmes. Jack lâcha alors tout ce qu'il tenait pour bondir dans sa direction. Les autres s'étaient réunis autour de leur ami qui se tenait le genou. En arrivant à sa hauteur, le jeune homme constata avec soulagement qu'il ne s'agissait que d'une égratignure. Il s'agenouilla et demanda un mouchoir qu'une fillette mit dans sa main avec une mine inquiète.

     « Ça va, c'est rien... C'est qu'un petit bobo. Le rassura-t-il en tamponnant la blessure.

     - Bien joué champion ! Se moqua une voix qu'il identifia comme celle de Lia. »

      Il tourna la tête et elle lui sourit :

     « Tu t'occupes bien de ces gamins à ce que je voie... T'oublieras pas de le ramener chez-lui...

     - Quoi ? Mais je sais pas où il habite, moi !

     - Tu l'as aidé, fais-le jusqu'au bout. Tu es un gentil garçon, non ? Leur maison doit pas être très loin, un des autres peut sans doute te guider. Pas vrai les gars ? »

     Un des enfants attrapa la manche de Jack et ce dernier poussa un soupir de résignation. Il souleva le blessé et se mit en marche pour suivre le petit groupe qui s'était remis à gambader devant lui tandis que Lia lui lançait en rigolant :

    « On se retrouve sur la place quand tu auras fini beau gosse ! »

OgresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant