Chapitre 03

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     Obscurité. Froid. Humidité. Silence.

Rien d'autre.

Pas d'horizon, la noirceur du tunnel avalait toute la lumière qui aurait pu les guider vers la fin de ce ver creux et glacé. Ses chaussures traînaient contre un sol glissant. Ils ne pouvaient même pas distinguer les obstacles, des trous, des ordures ou des rongeurs, qui jonchaient leur route. L'eau qui ruisselait était juste bonne à faire raisonner leurs pas dans un écho sinistre.

Rien d'autre.

Il sentait des courants d'air lui griffer la peau. C'étaient des serpents. Des reptiles vicieux qui se glissaient entre le tissu et sa peau. Plus ils avançaient, plus ces êtres semblaient s'enrouler autour d'eux, leur serrer la gorge, se saisir de leurs bras et de leurs chevilles, comme pour les retenir.

Rien d'autre.

L'odeur lui donnait la nausée. Elle était indescriptible. Moite. A la fois fiévreuse comme une nuit d'été et glaciale comme un jour de pluie. Piquant ses narines et retournant son estomac sans une once de pitié.

Malgré tout, il ne sentait presque rien. Il savait que celle qui le tenait à bout de bras avançait lourdement, laissant ses pieds s'enfoncer dans le sol et soulevant de l'eau sale ou une poussière vieille de plusieurs années. Il savait que, derrière cette apparence déserte, les lieux grouillaient de mille paires d'yeux qui suivaient leur périple.

Mais il ne les voyait pas.

Il ne les entendait pas.

C'était comme si le volume du monde avait été éteint, comme si le vacarme qui l'avait secoué un peu plus tôt l'avait vidé de toute forme de bruit. Tout était assourdi à ses oreilles, le moindre murmure, le moindre souffle était transformé et noyé dans le silence.

L'absolu et terrifiant silence.

Cette plénitude le portait, lui donnait l'impression de voler sur une masse vaporeuse dans laquelle il s'enfonçait de minute en minute et tout, le noir, le froid, les odeurs et le bruit, tout disparaissait.

Il n'y avait rien d'autre, il n'y aurait jamais rien d'autre, seulement cette lente descente qui ne cessait de les mener vers des abysses plus sombres.

Il y avait bien la douleur. Elle était là, lui arrachant la peau de ses mâchoires de feu. Des milliers de petits crocs sans pitié qui, lassés de son épaule, faisait maintenant leur office sur tout le reste de son corps.

Il voulait dormir.

Se laisser bercer, fermer ses yeux pour ne plus les rouvrir.

Mais sa tête était harcelée par des bourdonnements. Elle était lourde. Si lourde.

Alors il attendait, sans trop savoir quoi. Peut-être que ces insectes qui brouillaient sa vue et vibraient dans ses oreilles s'en aillent...

     « Lia... »

     Une voix était sortie de nulle-part. Rocailleuse. Usée par le temps. Il avait du mal à comprendre ce qu'elle disait, ses mots ressemblaient à un mélange sans queue ni tête.

     « Je l'ai trouvé dehors. »

     Cette fois, c'était la fille. Mais son timbre se déformait au fur-et-à-mesure.

     « Je vais le prendre avec moi, vas rejoindre les autres.

     - Il va s'en sortir ?

     - Va rejoindre les autres. »

    Il leur aurait bien demandé d'arrêter de parler. Tout se mêlait et venait se cogner contre ses oreilles à la manière d'une perceuse. Et leurs mouvements semblaient lents. Dilatés. A lui en donner la nausée.

Il se sentit soulevé.

Le noir se rua sur lui. Plus étouffant et plus vorace que tout ce qu'il avait pu connaître auparavant.

Il ne pouvait plus bouger ; ses membres restaient paralysés malgré ses efforts désespérés. Il n'arrivait même plus à crier, sa voix se muant en râles et s'étranglant au fond de sa gorge.

Sa poitrine était écrasée par un poids invisible que remontait et lui broyait les os.

Il sentait son énergie diminuer et la panique prendre la place de tous ses réflexes habituels quand une secousse le tira d'un coup sec de cet enfer et il se retrouva en sueur dans un lit de camp, le cœur battant à tout rompre et les muscles tendus.

La lumière d'une lampe agressait ses yeux avec ses rayons blancs mais il dut attendre de retrouver son souffle avant de pouvoir en détourner le regard.

Il était dans ce qui ressemblait à une chambre d'hôpital montée à la va-vite : des rideaux blancs encadraient son lit pour lui garantir un semblant d'intimité, une chaise était posée dans un coin et, dessus, la fille qui lui avait, vraisemblablement, sauvé la vie.

Elle avait l'air de dormir, la tête baissée et la respiration lente, mais se mit immédiatement à bouger quand il se tourna vers elle :

     « C'est pas trop tôt... Bien dormi votre Altesse ? »

     Elle bailla sans retenue et il se demanda si elle avait vraiment veillé sur lui tout du long.

    « Je vais appeler le médecin, annonça-t-elle en se levant, il va être content que tu t'en sois tiré. »

     Elle écarta les rideaux et passa sa tête à l'extérieur avant de se raviser :

     « Je m'appelle Lia. Souviens-toi en, tu m'en dois une... »

OgresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant