chapitre un

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"Hé, Wilson, balance le sel!"
Je me retournai avec un grand sourire pour envoyer, en un tir parfait, la salière que je tenais dans ma main gauche. Elle fendit les airs du self, avant de tomber entre les mains de Théo, mon meilleur ami. En effet, c'était un des rares déjeuners où il était loin de moi, car je mangeais avec Rose, mon autre amie d'enfance de l'institut.  L'institut Harrinson, l'institut des orphelins originaires de l'île Nord de la Nouvelle-Zélande, Wellington. Soit, là où je vivais depuis maintenant sept années, j'avais enfin entamé ma dernière année de pénitence, et la libération se ferait entendre sous peu. Dans ma tête, j'étais totalement mitigé: c'était à la fois une excellente nouvelle car la chose que l'on désire le plus quand on se retrouve à l'institut, c'est en sortir; mais aussi une mauvaise nouvelle, car j'étais sur la voie de perdre tout ce que j'avais acquis -toute proportions gardées, rien n'était à moi. Mais mon quotidien et mon entourage allaient disparaître, tout comme mon toit, et mes habitudes. Ce qui allait probablement le plus me manquer, c'était le sentiment d'être un fugitif, lorsque je passais mes nuits dehors avec Théo ou Rose, nuits pendant lesquelles on allait voler des cigarettes dans les épiceries mal-famées ouvertes 24h/24, et que j'étais tout de même le seul à fumer en entier. La faute au gouvernement qui vendait ses clopes à 20 dollars, il ne fallait pas s'étonner que nous les dérobions. Jusqu'à aujourd'hui, je ne m'étais jamais fait coincer, dans les épiceries, on prenait soin de voler en achetant: la tante de Rose, une vieille femme qui s'était battue pour sa garde mais qui n'avait jamais pu réussir à cause de la petitesse de son logement, tâchait de lui rendre visite chaque semaine et de lui céder une cinquantaine de dollars en cachette. Généralement, on prenait des bonbons ou des chips, ce qui ne diminuait pas son argent de poche de beaucoup. Oui, c'étaient définitivement ces nuits qui allaient me manquer, ces nuits où on voguait de spot en spot, faisant des rails désaffectés ou des places célèbres notre salon. Quoique, ça valait aussi bien toutes les douches que je prenais avec Rose, tout compte fait. Chaque matin, elle s'arrangeait pour venir dans ma douche, la faisant s'éterniser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau du tout -de l'eau chaude, il n'y en avait jamais eu. Elle passait ses mains sur mes différentes greffes de peau, des tâches proéminentes, roses et étirées, qui s'étendaient plus ou moins de mon bras gauche à mon milieu du dos. Elle n'avait jamais vraiment posé de questions sur ces traces. Elle s'était évertuée à me laisser lui révéler l'épisode de l'incendie malgré le temps que cela avait pris, et même si elle m'avait toujours affirmé qu'elle n'avait jamais vraiment remarqué mes cicatrices, je savais que c'était faux: ma peau m'avait valu d'être la bête de foire de l'Institut. L'hiver par exemple, je ne comptais plus les rires et les apostrophes des orphelins si j'avais le réflexe de passer devant une cheminée ou un four. Mais, ça avait toujours été comme ça. Cela faisait sept ans. Sept ans que la situation ne bougeait plus, sept ans que ma famille s'était réduite à des rencontres fortuites à l'orphelinat.

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