Je sortis une cigarette de son paquet, cette merde qui devait bien coûter entre quinze et vingt dollars australiens, ainsi que mon briquet en métal. Je fis rejoindre flamme et clope, et exhalai pleinement la fumée. Rose me regardait toujours aussi curieusement, je lui tendis la cigarette pour qu'elle tire une latte et qu'elle me la rende. Ce qu'elle fit.
"Café-clope-copine. Je suis bien, lâchai-je avec un petit sourire en coin.
-T'as surtout de la chance de m'avoir moi, comme copine, rétorqua-t-elle avec un plus grand sourire encore.
-Je crois bien que oui. J'ai reçu une lettre de l'Etat au fait, je ne te l'ai pas encore dit.
-Concernant ta majorité ?
-Oui, tout se précipite en fait. Je n'avais pas vu ça comme ça.
-C'est normal. Tu vas devoir t'occuper de toi, ça te fait peur peut-être ?
-Je n'ai peur de rien et tu le sais pertinemment, Rose."
Elle me répondit par un énième sourire.
"En gros, repris-je, ils m'offrent une compensation pour trouver un logement. Je suis globalement sous leur juridiction, ce qui implique qu'on ne s'occupe pas vraiment de moi. Je vais bénéficier d'aides de santé, d'études mais comme je ne pourrai pas en faire avec ce peu qu'ils me donnent, c'est mort. Sinon, du coup, je pourrai avoir un logement, je ne voulais pas te le dire tout à l'heure car ce n'est que maintenant que je réalise vraiment tout ce que ça implique. J'aurai sûrement un truc misérable mais bon, c'est le mieux que je puisse espérer.
-Et l'héritage, Ian ?
-Je ne veux pas de cet argent.
-Tu ne sais même pas combien il y en a.
-Je n'en veux pas. Mes parents voulaient probablement un bateau, un séjour en mer, et moi je ne veux pas utiliser de l'argent destiné à de si beaux projets pour faire de la merde, un toit est un toit et je ne veux pas prétendre à quelque chose de noble. Tu sais tout ça aussi bien que moi.
-Je trouve que c'est surtout idiot ! Si tes parents avaient cet argent c'est aussi en partie parce qu'ils avaient prévu que si il leur arrive quelque chose, tu en bénéficies pour avoir la vie que tu mérites !
-Qu'est-ce que je mérite, Rose ?! Dis-le moi, qu'est-ce qu'un gosse comme moi peut mériter ? Je ne retrouverai jamais ce que j'ai perdu ! Tout ce qui appartient à mes parents, tout ce qui était mes parents ! C'est bien la preuve que ma vie ne possédera jamais rien ! J'ai tout raté ! Je n'ai aucun projet, ma vie se base sur le moment et c'est franchement, la meilleure ou la pire des philosophies ? Je ne construirai rien parce que je n'ai jamais eu la moindre base solide !
-Tu es tellement borné. Qu'est-ce qui te bouffe tant que ça ? La culpabilité ou juste le sort ? Bonne soirée."
Elle s'était levée pendant ses simples paroles, renversant son gobelet. Elle prit son sac et elle me laissa seul sur cette terrasse. Ma cigarette s'était légèrement consumée d'elle-même quand j'avais parlé, hors de moi. La colère bouillonnait à mes tempes, mes yeux me brûlaient car jamais aucune
larme ne venait éteindre le feu ravageur qui les habitait. Je me rendis compte que mes mains tremblaient, et tentait de les maîtriser en tirant sur ma clope de plus belle. Je vidais ensuite mon café, écrasait mon premier mégot dans le cendrier avant d'allumer la suivante. J'étais dépassé. Rose avait le don de me faire partir en vrille avec des mots simples, des mots que je percutais tout de suite. Elle était intelligente, elle avait sûrement raison mais mon opinion ne pourrait jamais se calquer sur la sienne, je le savais. Mes démons étaient trop nombreux. Le feu de la haine qui ne s'était jamais éteint toutes ces années ne pourrait tout simplement jamais s'éteindre. Il avait pris trop de poids dans ma vie, j'en voulais à tout et à tout le monde. Même si je ne le montrais pas. J'en voulais à Rose de cacher ses démons avec autant de justesse. Je lui en voulais d'être ambitieuse, je lui en voulais parce qu'elle avait raison, je lui en voulais parce qu'elle réussirait à faire quelque chose de sa vie avec le rien d'où elle partait. J'en voulais à tous ces orphelins qui finiraient bien ou mal, j'en voulais à tous les encadrants qui nous élevaient comme des animaux, pour à la fin nous relâcher dans la vraie savane, si différente de nous autres depuis toujours en captivité. J'en voulais à mes parents qui étaient morts, mes parents qui m'avaient quitté alors que j'avais besoin d'eux pour devenir quelqu'un. J'en voulais à moi-même, à ce que j'avais osé m'infliger en me précipitant dans les flammes. J'en voulais à l'espoir, qui me faisait désespérément vivre. J'en voulais à la vie, qui n'avait aucun sens. J'en voulais au monde entier, au rationnel et à l'irrationnel, à ce qu'on (qui ou quoi, putain?) avait fait de moi, à ce que j'étais.
Je décidais de me lever, en jetant le verre renversé de Rose à la poubelle ainsi que le mien. Les mains dans les poches de la veste en jean, je descendais dans la rue et me dirigeais droit vers la plage. L'Institut avait l'habitude que je ne rentre que tard, voire pas du tout le soir, j'aurai des comptes à rendre mais pas trop, ils avaient jeté l'éponge avec mon cas et surtout le fait qu'ils n'en avaient plus pour longtemps à m'avoir. Les rues se succédaient, les magasins principaux étaient maintenant loin derrière moi, devant se profilaient les habitations, et après celles-ci, j'aurai le droit de me sentir libre.
Je me dirigeai vers la crique déserte que je connaissais depuis tout petit, j'y avais passé mon enfance. Celle de quand j'étais heureux, je croyais.
Mes baskets s'enfonçaient dans le sable, sensation que je trouvais particulièrement désagréable en chaussures. Je les laissais à quelques mètres des vagues, ainsi que me veste et mon tee-shirt. Toutefois, je portais ce haut de contention pour tenir les traces de l'accident en santé. Mon pantalon glissa sur le sable, alors que je m'élançai dans l'eau pour nager dans l'obscurité. Sans attendre plus, je plongeai mon crâne sous l'eau, les yeux clos, m'élançant à l'aveugle. Quand je refis surface, j'étais à une dizaine de mètres de là d'où je venais.
Etrangement, j'étais dans mon élément, même si je doutais n'en avoir
qu'un seul.
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self-abandoned
General FictionIan, un passé, des cicatrices. Que feriez-vous si vous aviez toujours grandi en sachant que le destin vous échapperait toujours, en sachant que vous ne contrôlez jamais rien ?