chapitre quatre

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Il avait fini par pleuvoir énormément, et j'avais dû rentrer à l'Institut sous les bourrasques qui avaient fini par transporter de la neige et non plus de la pluie, typiquement en Nouvelle-Zélande au mois de juin. J'avais escaladé le mur en manquant de glisser un petit paquet de fois, et j'avais réussi à me faufiler dans ma chambre grâce aux portes de service et de sécurité. Théo dormait déjà depuis longtemps, alors je fis le moins de bruit possible en me brossant les dents et en me changeant. Quand je me faufilais sous la couette, il était trois heures cinquante-trois.
"Ian?
-Putain Théo je te jure j'ai fait le moins de bru...
-Ferme-là, je sens quand t'es là ou quand t'es pas là c'est tout.
-Désolé.
-Pourquoi Rose est rentrée si tôt avant toi?
-On s'est engueulés.
-Non mais ça je le sais petit con, dis moi la raison.
-On n'est pas d'accord sur les mêmes trucs.
-Ca concerne ton départ ?
-Pourquoi tout le monde en parle putain? C'est pas encore arrivé, ça arrivera dans une paire de mois, et c'est pas si imminent merde !
-Parce que t'es le premier de nous trois à partir et que ça va nous changer. Elle a aussi peur que toi, depuis beaucoup plus longtemps seulement. Ce n'est que maintenant que sa carapace se fissure.
-Tu veilleras sur elle ?
-De là où tu seras, tu veilleras aussi sur elle gros.
-Je sais pas où je serai.
-N'importe.
-Tu vas mieux toi ?
-Comme d'hab.
-Demain on est samedi.
-Donc?
-Viens on bouge. On va à l'île Sud, on...
-On n'a pas de thunes pour louer un yacht. Et on n'aura pas Rose, visiblement.
-Je veux pas rester ici un samedi.
-Personne ne veut rester ici, quelque jour qu'on soit Wilson."
Je ne voulus pas répondre. Théo s'était rendormi en se tournant après avoir prononcé cette phrase, et je décidai d'en faire de même. Nager dans l'eau glacée m'avait fatigué et m'avait ôté toutes mes émotions. Seuls mes muscles ressentaient une légère douleur, qui m'accompagnait dans ma chute vers le sommeil.
A mon réveil, Théo n'était pas dans la chambre. Je pris un tee shirt gris, un jean noir, et allais prendre une douche, celle de d'habitude, la cabine du fond à gauche. Rose ne vint pas. J'arrangeai mes cheveux, enfilai mes vêtements, et je finis par descendre. Au rez-de-chaussée, il y avait toutes les autres pièces essentielles, à l'exception des chambres des garçons, au premier, et des chambres des filles au deuxième: le réfectoire, les salles jeux, les salons, les salles de visite, les cuisines, les accès au jardin, l'acceuil. Notre bâtiment était celui des 13-18 ans. Un autre était réservé au 8-12 ans et pour les plus jeunes, il y avait une sorte de crèche, mais je n'avais jamais connu ce bâtiment.
J'allais directement au réfectoire pour engloutir un bol de lait rance, du café à retourner les estomacs les plus solides, et des corn flakes nature. Je partis ensuite en expédition retrouver Théo. Il n'était dans aucun salon; ni dans la salle de jeu. Je sortis, à l'extérieur, il faisait froid et ma veste en cuir, aussi râpée que celle de Rose, ne me protégeait pas du vent hivernal qui rugissait. Le ciel était gris, sans un rayon de soleil, ce qui me fit soupirer. Mes baskets noires s'enfonçaient dans le sol détrempé, elles n'allaient pas tarder à être pleines de boue.
Théo était avec Rose. Sur un banc. Ils parlaient, et ils ne me voyaient pas encore. Je voulus attendre la fin de leur conversation, mais Rose leva les yeux vers le ciel, et j'étais, visiblement, dans son champ de vision. Je lui fis un sourire, elle se leva, et je m'approchai pour lui dire bonjour.
"Salut, Rose.
-Salut.
-Tu vas bien ?
-Moi oui. Et toi? Tu es rentré à quelle heure hier ?
-Minuit.
-C'est faux.
-Alors si tu sais, pourquoi tu me demandes ?
-T'es débile, Wilson."
Cet échange de mots lui parut suffisant, car elle me contourna pour rentrer à l'intérieur. Les yeux bleus de Théo se posèrent alors sur moi.
"Bien dormi?
-Un peu trop, ou alors pas assez je ne sais pas. De quoi vous parliez?
-Ah, ce qu'une meuf dit à un gars, elle veut pas qu'un autre gars le sache, me dit-il en souriant.
-Fous-toi de ma gueule.
-J'ai bien réfléchi à ta proposition de bouger cette nuit quand je dormais et..
-Quand tu dors tu réfléchis toi?
-C'est ça d'avoir 145 de QI, putain je suis un génie! Bref, j'ai fait le tour de toutes les solutions, et je me suis dit qu'on pouvait aller dépenser l'argent qu'on avait gagné le mois dernier, cet après-midi on va au cinéma et ce soir on va au bar. Et si tu veux ce matin on peut bouger au skateparc."
Le mois dernier, mois de mai, Théo et moi avions travaillé pour la ville, nous avions aussi gardé des enfants, rendu beaucoup de services, et en tout nous avions amassé 250 dollars chacun. C'était vraiment beaucoup et nous y tenions énormément, mais après tout, que vaut l'argent s'il ne peut être dépensé? C'est dans cette optique que je voulais voir ma journée défiler, et je comptais bien en profiter.
"Est-ce que tu considères que tu es en couple avec Rose ?
-Hein?
-T'as compris ma question.
-Elle, elle considère qu'on est quoi?

-Un couple. Elle ne le dit pas, mais elle décrit votre relation comme ça.
-On est toujours ensemble.
-Est-ce qu'elle est devenue, une sorte d'habitude, pour toi?
-La bonne réponse c'est oui ou c'est non?
-Je ne sais pas, honnêtement, je ne sais pas à quoi vous jouez. Elle tient à toi mais tu l'insupportes, tu tiens à elle mais c'est comme si elle était une sorte d'objet pour toi, un truc que t'emportes partout et qui t'est utile.
-Tu ne sais pas de quoi tu parles.
-Je te donne ma vision. De l'extérieur, c'est comme ça que vous êtes perçus, et encore, moi je suis ton pote. VOTRE pote.
-Elle veut me quitter ?
-C'est comme si c'était déjà fait.
-Quoi?
-La perspective de ton départ ne lui laisse rien, et toi aussi tu sais très bien qu'après ça, tu ne reviendras pas en arrière. Autant dire que plus rien ne sert."

self-abandonedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant