Christian

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Jour n°2357

Cible : Christian Dufour, mâle de type vétérinaire, diplômé de l'école de Sadisme envers l'espèce féline tout entière, mention très bien.

Tentative(s) : 17

J'ouvre faiblement les yeux. Puis je les referme. Mon esprit est encore trop vaseux pour comprendre où je suis. Tout ce que je sais, c'est que cela ne ressemble absolument pas au Paradis des Félins domestiques à poils longs. 

Ou alors c'est que je suis tombé en Enfer.

Ce doit être ça, oui. Mon corps endolori repose sur une surface dure, glaciale. Je suis loin du confort de mon petit coussin de velours rouge. Une désagréable odeur flotte dans la pièce. Mélange de produit désinfectant, d'animaux malades et du parfum à la fraise de la secrétaire.

Tous les morceaux se recollent et la terrible vérité me frappe de plein fouet.

Je suis chez le vétérinaire !

J'ouvre à nouveau les yeux, me redressant. Soudain, une vive douleur sur mon flanc gauche me fait regretter mon geste et je me laisse retomber mollement sur la table d'auscultation. Une grosse main se pose sur moi et je reconnais la voix du Diable en personne.

« Doucement Silvestre, il faut que tu te reposes, mon grand. »

Mon grand. Je déteste lorsque le vétérinaire essaye de jouer les gentils humains innocents avec moi. Alors que je le connais. C'est le genre de type à vous attendrir avec de la pâté de luxe, pour ensuite vous planter brusquement un thermomètre dans l'arrière-train ! Et je parle en connaissance de cause.

« Mon Silvestrounet d'amour chéri !! Tu es vivant !!! »

Là, je reconnais la voix de mon humaine. Et elle vient déposer un gros baiser sur mon petit museau. Je lui en voudrait presque de m'avoir conduit ici. Mais je suis content de la voir, au fond. Parce que je déteste cet endroit et que sa présence me rassure un peu. Même si je suis trop fier pour l'avouer.

Elle glisse sa main pleine de doigts dans mes poils et interroge le démon en blouse blanche à propos de mon état.

« Il n'a rien de cassé, plus de peur que de mal. Beaucoup de repos et dans quelques jours il sera en pleine forme. 

- Merci docteur ! Vous êtes le meilleur !! »

Un peu plus et elle lui sautait au cou pour le couvrir de baisers langoureux. Mais elle se contente de sourire stupidement et te battre excessivement des cils. Le mâle lui rend son sourire, ce qui a pour effet d'empourprer les joues de mon humaine.

Je suis là, moi ! Ne m'oubliez pas !

Je laisse échapper un miaulement tragique pour attirer l'attention vers moi. Et ça fonctionne. Elle délaisse le mâle et revient me pouponner.

« Enfin, commence l'homme au thermomètre. Je préfère qu'il reste la nuit ici, pour garder un œil sur lui et être certain que tout vas bien.

- Oh... Je comprends, répond simplement mon humaine. »

Mon cœur loupe un battement et je jette un regard de vierge effarouchée à mon humaine, comprenant malheureusement ce qu'il m'attend.

Non !! Ne me laisse pas ici ! Je vais beaucoup mieux, regarde !

Joignant le geste au miaulement, je prends sur moi pour me redresser et tendre mes pattes-avant vers mon humaine, plantant avec amour mes griffes dans son petit haut en soie.

Le Démon laisse échapper un rire et un commentaire fort utile.

« Tiens, on dirait qu'il a comprit ce qu'on raconte ! »

Deux puissantes mains se glissent sous mes pattes et le vétérinaire me prends dans ses bras, avec trop de délicatesse pour que ses intentions soient pures et innocentes. Mon humaine m'adresse un léger sourire, ses yeux azurs brillant à cause de ses larmes naissantes.

« Reposes toi bien mon chaton, je reviens de chercher demain et tu aurais même le droit à une double ration de croquettes si tu es gentil avec monsieur Dufour. »

Toutes les croquettes du monde ne seraient pas suffisantes pour me récompenser. Elle ne sait pas ce que c'est d'être ici. Elle ne voit que la belle façade: la secrétaire au sourire impeccable, le vétérinaire aux paroles rassurantes, la salle d'auscultation accueillante avec ces photographies clichées d'animaux heureux et en pleine santé. 

Mais derrière, on trouve la salle d'opération sanglante, le débarras sinistre, les cages en métal où les animaux attendent que la mort viennent les libérer de cette prison sinistre et nauséabonde !

Non, elle ne sait rien de tout cela. 

Un baiser sur le front, une caresse volée et la voilà qui s'en va, m'abandonnant à mon triste sort.

Le Démon me garde dans ses bras et me conduit à l'arrière du cabinet vétérinaire, dans une petite pièce où sont stockés les animaux convalescents. Il me dépose dans une cage et la grille se referme lourdement derrière moi.

J'ai a ma disposition strict nécessaire. Le manger, le boire et la caisse pour faire popo. Et une vieille couverture qui gratte.

Je ne suis plus qu'un simple prisonnier. Condamné à passer la nuit ici.

Les lumières s'éteignent. Je suis plongé dans le noir.

Félin pour l'autre [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant