Une semaine passa. Chaque nuit, les rêves de Marie la ramenaient dans ce palais vénitien libertin. Elle y pénétrait, sombre silhouette parmi d'autres ombres, traversait la salle de bal, montait l'escalier, ouvrait une porte, puis l'autre. L'homme l'attendait, baisait sa nuque, la dévêtait, la couchait sur le lit. Elle se réveillait à chaque fois au moment où elle découvrait ses yeux vairons. De nuit en nuit, son rêve s'enrichissait de détails qui renforçaient l'étrangeté et la magie du lieu. Comme les deux gardes qui se tenaient à l'entrée : deux cerbères géants dont on distinguait seulement les yeux luisants sous leur capuche, pointue à la manière de celle des bourreaux. Ils étaient encadrés de deux torches accrochées au mur, qui leur faisaient deux cornes de flammes. En s'avançant dans la salle, il lui semblait que la foule se fendait en deux pour la laisser passer et que murmures et regards entendus l'accompagnaient. Comme si elle était la reine attendue d'une obscure cérémonie. Elle vit les dizaines d'imposants lustres de cristal suspendus au plafond de bois noir à caissons. Leurs facettes captaient les rayons de la lune et parsemaient le bal de confettis de lumière bleutée. Elle entendit l'étrange musique provenant d'elle ne savait où : elle avait l'impression qu'une brume mélodieuse l'enveloppait et l'ensorcelait. Des clavecins se mêlaient aux guitares électriques et formaient un son incantatoire, invitant à jouir du luxe offert. « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Quand elle grimpait les marches, elle se sentait poussée par le souffle de l'assemblée et happée par la série des portes à ouvrir. Dès la deuxième fois où elle fit ce rêve, elle savait ce qui l'attendait derrière la troisième porte. Et chaque nuit, son impatience de l'ouvrir se fit croissante. Son cœur palpitait, sa chair frissonnait, sa nuque brûlait sous les baisers à venir.
Et chaque matin, au réveil, elle se morigénait d'avoir de nouveau cédé aux sirènes du désir. Car c'était bien de cela qu'il s'agissait : elle éprouvait dans ce rêve un délicieux et violent désir qui n'avait cesse de grandir et de la posséder. Un désir sombre, obscur. Maléfique. D'une puissance inouïe, tel qu'elle n'en avait jamais éprouvé. Et pour un scénario qu'elle désapprouvait. Mais qui lui laissait une exquise sensation au creux du corps.
La septième nuit où ce songe l'emporta, elle mit un long moment à s'extraire de son charme vénéneux. Les stucs du palais et le stupre du bal gardèrent son esprit captif de leurs sortilèges.
Par une déplaisante coïncidence, ce fut le jour qu'Olivier de Malefoy choisit pour s'annoncer : « je serai chez vous à dix heures. Sauf si vous me dites qu'aucune inspiration ne vous est venue, ce dont je doute... ».
En lisant ce SMS, Marie fut de nouveau irritée par sa formulation, spéciale. Cet homme ne pouvait pas se contenter de demander s'ils pouvaient convenir d'un nouveau rendez-vous dans ses bureaux ? Non, il s'imposait « chez elle », il imposait son heure et son jour. En l'occurrence, le jour même. Et il la provoquait sur son inspiration. Elle avait bien envie de lui dire qu'elle n'avait pas encore réfléchi à son projet. Ce qui était vrai d'une certaine façon : elle n'y avait pas réfléchi. Elle en avait rêvé, bien malgré elle. Mais ses songes lui appartenaient. Pas question de lui en parler.
Elle lui répondit juste « Venez ». Elle se voulait sèche et peu amène. Elle avait déjà appuyé sur « Envoyer » quand elle réalisa ce que ce « venez » pouvait receler d'impatience contenue. Du moins c'était ainsi qu'il pouvait être interprété. Zut ! Elle n'avait pas du tout envie de verser dans l'ambiguïté avec cet Olivier de Malefoy !
— J'aime quand vous me donnez des ordres... lui répondit-il aussitôt.
Aïe, évidemment il avait sauté sur l'occasion.
— Pardon, j'étais pressée, j'ai voulu faire bref, je suis maladroite. Oui, pour dix heures, en mes bureaux, lui écrivit-elle.
— J'aime votre empressement...
Il ne lâchait pas l'affaire, le bougre. Elle allait devoir tourner sa langue sept fois dans sa bouche afin de ne pas prêter le flanc aux interprétations pernicieuses de ce client.
A dix heures tapantes, le carillon retentit. Marie alla ouvrir et afficha volontairement un sourire commercial, un peu forcé. Pour lui signifier : je vous souris parce que vous êtes un client, mais le cœur n'y est pas. Il la regarda intensément.
— Vous êtes encore plus belle que dans mon souvenir ! finit-il par s'exclamer.
Désarçonnée, elle ne sut que répondre. Pour couper court à son propre malaise, elle s'empressa de dire :
— Suivez-moi.
— Vos désirs sont des ordres...
Oh, ce n'était pas gagné ! Il allait vraiment lui falloir peser chaque mot avant de le prononcer, pour prévenir toute récupération par ce pénible personnage. La poisse ! Ce n'était pas vraiment son fort. Elle était plutôt du genre spontané. Brider sa parole allait lui demander des efforts de vigilance considérables.
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Angel & Marie - T. 2
ParanormalAngel et Marie mènent désormais une existence presque paisible. Presque... car, entre la colère qui gronde en eux, les menaces venues de l'Enfer et les interventions autoritaires du Ciel, leur amour risque d'être soumis à dure épreuve. Et si cet...