4. Absence (fin)

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Ils marchèrent main dans la main jusqu'à la maison. Marc sautilla tout du long. L'école le mettait en liesse !

Marie lui prépara l'un de ces menus préférés : petites tomates à l'huile en entrée, coquillettes-jambon ensuite, et pour finir une banane écrasée. Quand il eut terminé d'avaler son repas avec un appétit d'ogre, il demanda après son père.

— Papa, l'est où ?

— Il est au travail.

— Je veux lui dire.

— Tu veux lui dire quoi ?

— L'école ! dit-il sur un ton d'évidence.

— Tu le verras en fin de journée, après la sieste. Et tu pourras lui raconter toutes les belles choses que tu as faites à l'école.

— Oui, mais moi, je veux lui dire maintenant, dit-il de cette façon particulière qu'ont souvent les enfants de rester accrochés à ce qu'ils désirent, sans en dévier d'un iota.

— Je sais que tu veux tout raconter à Papa, mais tu vas devoir attendre. Après le dodo de l'après-midi. Tu vas faire un gros dodo, et après, hop, Papa arrivera vite. D'accord ?

Fatigue d'après l'école ou envie de faire avancer le temps jusqu'au retour de son père, Marc ne rechigna pas un instant à aller se coucher. Il fit une longue sieste, qui témoigna de son probable épuisement dû à toutes les nouvelles sollicitations de sa matinée.

Quand il se réveilla vers seize heures, de nouveau, dès qu'il eut englouti son goûter, il s'enquit de son père.

— Bientôt, petit cœur, papa va bientôt rentrer, lui dit-elle, s'appuyant sur ce que lui avait dit Angel le matin même.

Mais l'après-midi se termina sans qu'Angel eût regagné ses pénates. L'heure du dîner passa. Marie coucha Marc sans qu'il eût réapparu.

— Papa a beaucoup de travail, fut-elle obligée de dire à son fils qui réclamait son père. Tu le verras demain et tu pourras tout lui raconter.

Quand Angel arriva vers vingt-trois heures, Marie avait dîné, fini par se mettre au lit avec un livre, qu'elle lisait avec difficulté tant elle fulminait. Il apparut directement à côté d'elle et le regard qu'elle surprit dans ses yeux acheva de la mettre en colère. Oh, ce regard mi-triste, mi-égaré, elle le connaissait bien ! C'était celui qu'il arborait dès qu'il venait d'achever une mission. Ainsi donc, s'il avait raté la première journée d'école de leur fils, c'était parce qu'il couchait avec une mission !

Sans le saluer, elle lui dit d'une voix glacée :

— Marc t'a réclamé tout l'après-midi et ce soir. Il voulait te raconter sa journée.

— Je suis désolé, je n'ai pas pu me libérer avant.

— Vraiment ? Tu ne pouvais pas différer l'achèvement de ta mission d'une journée ? C'était plus important que la première journée d'école de ton fils ? demanda-t-elle d'un ton aigre.

— Bien sûr que non, ce n'était pas plus important que le premier jour d'école de mon fils. Et j'aurais aimé pouvoir être là. Mais je n'ai pas pu.

— Angel, c'était sa première journée d'école ! Sa première ! Il n'y en aura pas d'autres, et tu l'as ratée !

— Je sais, mais je n'avais pas le choix.

— Oh, tu m'exaspères avec tes « pas le choix » ! Si je t'avais écouté, toi et tes « pas le choix », nous ne serions pas aujourd'hui dans cette pièce en train de parler ! On en serait toujours à se demander si un jour nous pourrions copuler ou s'il nous faudrait rester chastes comme des puceaux éternels ! Enfin, chaste, je parle pour moi. Parce que toi, évidemment, c'est loin d'avoir jamais été le cas. La chasteté n'est pas ton pain quotidien et cela t'empêche même d'être présent pour le premier jour d'école de ton fils !

— Marie, tu te montres injuste.

— Injuste ? Non, mais tu plaisantes, j'espère là ! Je passe les trois quarts de mes dîners et de mes soirées, seule, à attendre ton retour. Je ne te vois qu'en coup de vent. La plupart de nos échanges se font par transmission de pensées, et non de visu. Et aujourd'hui, bouquet final, tu passes à côté d'un moment un peu sacré, le premier jour d'école de ton fils ! Et tu oses me dire que je suis injuste ! Je vais te dire, Angel : si j'avais su que tu passerais plus de temps dans les bras d'autres que dans les miens, si j'avais su que tu serais un père incapable de voir quels étaient les moments de la vie de ton fils à ne pas rater, je ne suis pas sûre que j'aurais accepté le marché des Juges. Tu vois, ma solitude, j'aurais pu l'accepter, mais ce que tu viens de faire à Marc, ça non, je ne peux pas !

Angel lança un regard douloureux à Marie et disparut.

— C'est ça, oui, disparais, ça va arranger les choses, mais bien sûr ! ajouta-t-elle quand elle le vit fuir.

Elle enrageait. Elle voulait qu'il s'excusât, qu'il lui dît que cela ne se reproduirait plus. Mais même cette perspective ne suffisait pas à l'apaiser car il aurait beau faire, il avait bel et bien manqué le premier jour d'école de leur fils. Elle lui en voulait terriblement.

Elle attendit quelques minutes assise dans son lit. Puis voyant qu'il ne revenait pas, elle éteignit sa lampe de chevet et se tourna sur le côté pour tenter de s'endormir. Evidemment, énervée comme elle l'était, le sommeil lui faussa compagnie. Elle tournait et se retournait dans son lit au rythme de ses ruminations. Sa rancœur croissait avec son insomnie.

Quand deux heures plus tard, Angel vint se glisser contre son dos, d'une façon délicate qui disait à la fois son souci de ne pas la réveiller et son besoin de la sentir contre lui, elle préféra ne pas réagir. Son ire était encore trop vive pour qu'elle acceptât de la dissoudre dans une réconciliation sur oreiller.



Angel & Marie - T. 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant