6. Rêve (2ème partie)

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Comme elle ouvrait la marche, elle en profita pour s'installer derrière son bureau et invita son client à s'assoir en face d'elle, en lui indiquant une chaise. « Professionnelle, ma fille, professionnelle » se disait-elle.

— Vous donnez un tour très professionnel à notre rendez-vous d'aujourd'hui, Marie. Mais vous avez raison, mieux vaut installer un espace de bienséance entre nous, on ne sait jamais....

Que répondre à cela ? Si elle déniait, il risquait d'en profiter pour proposer de s'installer dans les fauteuils et par là-même dans une familiarité dont elle ne voulait pas. Si elle acquiesçait, il pourrait jouer les offensés et elle serait contrainte de faire assaut de civilités pour se faire pardonner. Elle choisit de ne pas tenir compte de sa remarque.

— Monsieur Malefoy...

— Olivier.

— Olivier, j'aimerais savoir quels sont les éléments nouveaux que vous avez pu glaner sur votre future conquête ? Vous savez qu'ils me sont nécessaires pour pouvoir vous construire un projet sur mesure.

— Et moi, j'aimerais savoir quelles idées vous sont venues pendant cette semaine ?

Mince, s'il employait la même stratégie qu'elle, à savoir ne pas tenir compte de ses remarques, le dialogue allait être compliqué.

— Monsieur... Olivier... Pour pouvoir avoir des idées, j'ai besoin de mieux connaître les goûts et les possibles attentes de cette femme que vous voulez séduire.

— Je me suis mal exprimé. Par idées, j'entends ces désirs enfouis que je vous avais priée d'aller chercher.

Elle fit la sourde oreille.

— Monsieur Malefoy, je ne peux pas réfléchir, concevoir, à partir de rien. J'ai besoin de précisions pour créer un projet qui sera unique, en fonction de vous et de votre partenaire.

— Je ne vous ai pas demandé de réfléchir... dit-il en plantant son regard droit dans le sien.

Il poursuivit, d'une voix étrange, presque caverneuse :

— Je vous ai invitée à laisser remonter vos désirs enfouis les plus obscurs...

— Rien n'est remonté ! le coupa-t-elle précipitamment.

Trop précipitamment.

— Vraiment ? dit-il d'un air dubitatif, sans lâcher son regard. Il me semble que votre hâte à me répondre ferait plutôt signe du contraire. Marie, dites-moi ce qui est remonté... Parlez-moi de vos rêves...

— De mes rêves ? balbutia-t-elle.

— Oui, de vos rêves. De ceux que vous avez faits depuis notre dernière entrevue. Parlez-moi de ce qu'ils vous ont révélé, des désirs qu'ils ont mis en scène. Je suis certain que vos nuits ont été troubles. Votre visage vous trahit.

Comment diable cet homme pouvait-il ainsi lire en elle ? Certes, elle n'était pas la reine de la dissimulation. Son visage était plutôt un livre ouvert. Mais, là, elle essayait de rester maîtresse d'elle-même et d'afficher la mine la plus impassible possible. Ces barrières qu'elle érigeait, il semblait les contourner et il déployait une dérangeante clairvoyance. Son regard avait quelque chose d'hypnotique, comme s'il lui suggérait de s'abandonner à son pouvoir. Oui, il aurait pu être doux de lâcher prise sous la gouverne de ce puissant regard, il l'aurait guidée... vers... le balcon. L'image s'imposa à son esprit. L'irruption de ce bout de rêve lui fit un choc, salvateur. Elle se ressaisit.

— Monsieur Malefoy, quels qu'aient été mes rêves, je vous prierais de bien vouloir les laisser dans la sphère à laquelle ils appartiennent. Celle de ma vie privée.

Elle énonça cela d'une voix ferme, mais ajouta avec un sourire le plus enjôleur possible :

— Vous voulez bien ?

— Marie, Marie, lui répondit-il d'un air amusé, si je comprends bien, malgré votre ensorcelant sourire, vous êtes très poliment en train de me dire d'aller au diable !

— Oh je n'oserais pas ! lui rétorqua-t-elle de nouveau avec son plus beau sourire mais ses yeux indiquaient exactement le contraire.

— Vous avez tort, vous pourriez ! Je trouverais même cela très drôle !

Le ton qu'il mit à son « très drôle » en démentit le sens. Une ironie glaçante qui fit froid dans le dos de Marie.


Angel & Marie - T. 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant