La Corde à sauter

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A l'aube,

parce qu'elle succède à la nuit.


L'Oeil ouvert...


Un visage blanc dans un miroir gris,

Éclair aveuglant au cœur de la nuit,

Brise le silence et parle à la mort.

Le soleil a froid ; encore un effort...

J'ai mon sourire noir, celui des bons jours,

Qui tremble et qui craque comme un vieux four ;

Mes mains crochues qui lacèrent le vide

S'accrochent à ma peau, s'arrachent mes rides.

L'ombre de cette aube, épaisse et collante,

Presse à mes fenêtres sa face effrayante ;

Ses rires déments claquent à mes oreilles ;

Ses mains assassines griffent mon sommeil.

Une camisole cherche à m'étouffer,

Le cri de la ville à me terrifier :

La Réalité surgit sans pareille

Et de tout son poids saigne mon sommeil.



Les vagues de lumières m'enlèvent vers d'autres soleils... Des soleils rouges aux reflets bleu... Des nuages plein les yeux et les mains dans l'eau du ciel... Je vole Je vole Je vole Je vole Je vole Je vole Je vole... A l'infini... Une étoile dans mon cœur chante des larmes d'euphorie... Et j'ai beau souffler sur les braises, les automobiles ne se retournent pas et les téléviseurs vomissent sans faiblir des torrents de médisance et de chiens errants dans les rues de mon Ciel... Si bleu... De ce bleu si vert si jaune si rouge... Rouge sang... La fumée, toujours, monte, toujours, vers des astres de l'infini cosmos qui s'élève en ma tête et me couche en des bras qui sont morts de joie et de délire... Violence Violence Violence... Et je crie et je hurle et je rie et je brûle d'un feu qui me glace les orteils sous mes chaussettes de verre qui me tassent qui me tassent qui m'agressent qui me tuent à petits feux de joie dans une buée de ma vie qui se condense et me quitte et me rejoint dans ce froid qui tremble et qui claque et qui Noir...

***

Boum... Boum... Boum... Un bruit sourd m'écrase la tête de ses chariots de lumière qui s'éveille... Boum... Tout tourne et tout danse et tout moque la nuit qui est passée... Boum... Boum... La machine reprend son insatiable et insupportable labeur de pensée, penser toujours, penser tout court, penser trop loin, trop fort... Trop mal... Ma tête et mon cœur m'oppressent d'une chape de plomb... Boum... Dehors, les bruits de cette ville qui me fuit, que je hais et qui m'attend... Boum... Des klaxons, des sirènes, des aboiements, des rires, des cris, des musiques... Boum... Tous ces quotidiens qui me meurent... Toutes ces vies que je méprise et qui me torturent... Boum... Ouvrir un œil... Juste un, pour voir... Boum... Trop dur... Encore, essayer toujours... Boum... J'y suis presque... Dix heures quarante-trois... Boum... Cette lumière aveuglante qui me poignarde la tête ! Boum... Et cette journée qui m'a retrouvé ! Boum... Dormir... Dormir d'un sommeil lourd et sans rêve... Un sommeil pour des siècles... Mourir, peut-être ?

Boum... Je bouge mes membres courbaturés... Douleur... Craquements... Boum... Mes os de verre interminables semblent vouloir céder plutôt que se mouvoir... Boum... Le lit est trempé de sueur, peut-être... Je ne sais pas... Je ne sais plus... Et cette souffrance, partout, totale, toute en aiguilles de feu et en étaux de barbelés... Boum... Et ce sang qui ne veut pas se figer pour me laisser en paix ! Boum... Un nouveau coup d'œil au réveil... dix heures quarante-cinq... Seulement... Déjà ! Et mes cours qui commencent dans seulement un quart d'heure... Boum... Vains cours... Nouvelle tentative pour reprendre le contrôle de mon corps... La douleur - Boum - est intense mais - Boum - mes membres ne cassent pas - Boum - et mes articulations coopèrent malgré elles... Boum... Je parviens peu à peu à me mettre sur le dos... Je soulève prudemment mes paupières... Boum... De la fenêtre, entre les rideaux, des rasoirs blancs viennent me lacérer les yeux et la tête... Je referme les yeux pour me protéger. Boum... Il faut que je me lève... Encore...

ApocalypsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant