Sur le fil du rasoir

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Ces âmes, ouvrez-vous !



Du Vide


La lisière épanouie caressait l'échancrure

Embuée de sommeil sous un crachin d'eau pure ;

L'incandescence amère achevait de sombrer,

Exilée violemment et comme dérobée.

Et mon corps sans envie au bord de la margelle ;

Et l'écrin de mon âme enfin dénoyautée,

Nocturne, liquide : il faut que tu m'appelles !

Mais le violon trépasse au bout de la jetée.

J'ai brisé au silex notre beau coquillage ;

Mon oreille a coulé pour un dernier ressac ;

Le soleil s'est éteint, la ville est mise à sac.

J'ai jeté dans le puits nos serments hors d'usage,

J'ai brûlé nos clichés, j'ai froissé nos baisers...

Tu es morte ? Et alors ? Tu ne peux me laisser !




22/05/1999.

Je t'aime.

Je sais que ça peut paraître étrange de commencer ce carnet ainsi, mais j'ai besoin de m'en persuader. Je doute de beaucoup de choses, alors je veux être sûre au moins de ça, de mon amour pour toi. Malgré tout ce qui se passe, j'aime l'homme que tu es depuis notre première rencontre. Même si notre avenir est incertain, même si tu as changé, sache que ce n'est pas mon amour qui a faibli.

Je t'aime.

Je me suis résolu à t'écrire car je sais que tu ne me liras pas. Je ne peux pas te parler de ça ; tu ne peux plus m'écouter. Pourtant, j'ai besoin de me confier, de laisser sortir ça. Dire sans mentir. Confesser sans te trahir.

Tu me fais peur. L'homme que tu es devenu me terrifie, m'oppresse. Sans cesse, je guette tes crises, à l'affût du moindre signe annonciateur du prochain délire qui me laissera tremblante, et toi inerte, à l'endroit où tu te seras écroulé. Je t'aime mais je n'y arrive plus. J'ai fait ce que je pouvais pour t'aider, mais tu as repoussé toutes mes tentatives, t'enfermant plus profondément dans tes mirages.

J'aurais dû m'en inquiéter avant, bien sûr, lorsque ça commençait, mais c'était tellement anodin, à peine plus agaçant que ta distraction coutumière. Tu me demandais où était la télécommande, où se trouvaient tes clefs... et tu t''impatientait de ne pas les trouver là où tu pensais les avoir vues précédemment. J'ai pris ça pour de l'étourderie... Si j'avais su ! Si seulement j'avais pu anticiper...

Puis le phénomène s'est amplifié, et sans doute t'es-tu senti trahi par les objets de notre quotidien, par ta mémoire, par moi... Pourtant, malgré ce que tu as parfois pu croire au plus fort de tes crises, je n'ai jamais contribué à te rendre la réalité trompeuse. C'est seul que tu t'imaginais tout ça. Toujours est-il que, de jour en jour, tu es devenu de plus en plus sombre. Au fil de tes nuits agitées à remuer ta frustration face à ce quotidien qui te jouait des tours, tu as accumulé fatigue et stress, développant une impatience qui a accru encore tes colères. Tu me fais peur...

Au début, c'est vrai, cela m'a fait sourire cette distraction perpétuelle. Tu étais mon étourneau, tu te souviens ? Je t'aimais comme cela : emporté, étourdi, virevoltant d'idée en idée, commençant quelque chose et l'abandonnant pour une autre avant d'y revenir plus tard ! J'aimais cet agacement qui te faisait froncer les yeux et le front lorsque tu peinais à retrouver ton téléphone ou tes lunettes. Au début, je m'amusais de te voir sans cesse chercher de menus objets de pièce en pièce, déposés çà et là au gré de ton agitation perpétuelle. Quelle idiote j'ai été...

ApocalypsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant