Effets de modes...

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A ceux qui m'écoutent...



Le Chandelier


Je suis un chandelier

Qui brave la tempête,

Peut-être un des derniers,

Peut-être un des plus bêtes.

De l'aube au crépuscule,

Je dresse mes bougies,

Attise leurs folies

Sans peur du ridicule.

Pour ne pas qu'on les mouche,

Je souffle l'univers,

Pousse à petites touches

Leurs flammes si légères.

Je suis un chandelier

Dressé contre les bêtes,

Et parmi les derniers,

Me dresse en la tempête.



Le problème, c'est la conjugaison.

J'ai entendu beaucoup de gens le dire, mais ils pensaient à l'Ecole, sans y voir de la vie. Moi je pense à la vie quand je dis ça. Le problème, oui, c'est la conjugaison.

Quels que soient nos actes – et il faut bien agir, non ? -, il leur faut un mode, un temps. Dès lors, on est piégé. Et c'est ainsi que j'ai été piégé. Complètement acculé par la conjugaison. Comme tous les animaux, l'Homme n'est pas au mieux de sa forme lorsqu'il est acculé. Mais il agit, faute de pouvoir abdiquer sans espérer.

Et c'est dans cette spirale infernale que je suis tombé depuis quelques semaines.

Tout avait pourtant bien commencé : j'étais jeune comme on l'est tous, ou du moins l'étais-je à ma façon, comme il faut bien l'être avant d'être vieux. J'avais mes soucis, peut-être plus que d'autres, mais je croyais les gérer au moins aussi mal que les autres, sinon mieux. Comme tous les jeunes, j'étais en liberté conditionnelle : le rêve au bord des mots, l'acte toujours idéal. Dans mes grands moments, j'osai même le futur ! Quelle confiance alors, quelle foi ! ... quelle insouciance, en tout cas.

« J'aimerais », « Je ferais », bref : « je –rais » à tout va. Eh oui, je me souviens même d'un vaniteux « je ferai ». Oh, je ne les regrette pas ces paroles jetées au vent comme autant de grappins à l'assaut des murailles de la vie. N'empêche qu'ils ont ripé, mes mots, sur la pierre. N'empêche que le conditionnel, comme le futur, n'accrochent pas à la pierre. Le minéral, ça ne vaut rien en matière d'idéal.

Et puis j'ai continué. Un pas devant l'autre, un rêve derrière l'autre, comme une longue litanie implacable de la vie vers la mort, comme une dernière déambulation dans un couloir à sens unique dans lequel on ferme obstinément les yeux pour ne pas en voir la fin. Bref, j'ai mûri, comme tout le monde : malgré moi.

Orgueil ! J'ai pensé quelques temps être mon propre moteur, être ma propre voile et mon propre vent pour me pousser vers mon horizon, celui-là même que j'osais esquisser à petits coups de crayons clandestins, autrefois, avant que je me croie capable de parler. J'avoue d'ailleurs avec humilité et un peu de honte que je le crois parfois encore... Certains instants, je ferme les yeux et j'ai presque l'impression que je commande la marche du monde, que j'en produis la bande son qui fait le sens du film. Mais ce n'est plus comme avant. Avant que je sois piégé par la conjugaison.

ApocalypsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant