Pourquoi ce sourire ?

56 8 129
                                    

Craignez le sexe faible !



La Crue...


Un bruit assourdissant qui fait trembler la terre

Remonte par mes pieds, remonte par mes veines ;

Le colossal barrage édifié avec peine

Surplombe avec orgueil nos monuments amers.

La main sur un rocher, j'écoute son cœur battre ;

Je guette ses sursauts, j'écoute ses humeurs ;

Je sens sous la montagne un incessant labeur :

Le feu de la fureur que rien ne peut abattre.

Le jour est bientôt là où l'homme apprivoisé

Redeviendra sauvage et fuira les enclos.

La neige sur le feu rejoindra les nuées.

Le vaniteux barrage tremble dans la bataille,

Mais des rayons déjà en percent la muraille.

Le jour après la nuit ne vient jamais trop tôt.





Prologue

[...]

Jeudi 7 octobre.

Lorsque tu es rentrée, je l'ai su au sursaut que j'ai eu en entendant claquer la porte. Tout de suite après, j'ai senti tes pas, lourds et précipités, ébranler la maison jusqu'au fond de mes entrailles. Et j'ai eu peur. Peur de voir ton visage, peur d'être là, devant toi, impuissant. Abject à force d'être inutile et de poser quand même mes yeux sur toi, de te juger, malgré moi, et de me retrouver condamné par ton regard, par tes larmes. Alors je n'ai rien dit. Je suis resté immobile, tremblant, les yeux baissés pour ne pas croiser le regard acéré de ma conscience. Et j'ai attendu.

Le téléviseur affichait une collection d'images sans queue ni tête, vertigineuse valse stroboscopique de couleurs, de lumières, d'une crudité violente et aguicheuse, que je laissais ruisseler sur mon esprit comme un baume apaisant, lénifiant. Un repos mérité après une dure journée de labeur. Bien sûr.

Puis, ça a été l'heure du dîner, et j'ai éteint l'écran d'un mouvement de télécommande pesant de dégoût et d'appréhension. Mes chaussons ont laborieusement frotté le sol jusqu'à la cuisine et, mécaniquement, mes mains ont désemballé, versé, remué et pressé quelques boutons. La vaisselle s'est cognée aux meubles et, après un ballet sans âme mais bien rôdé, le repas a été prêt et je me suis figé, debout devant la table dressée comme un obstacle insurmontable entre nous, obstruant ma gorge et drainant mes forces. De longues secondes se sont écoulées avant que je parvienne enfin à articuler quelques mots d'une platitude si désolante qu'ils sont retombés à mes pieds sans pouvoir briser ce mur de silence qui nous sépare. J'ignore comment j'ai fait, mais il m'est resté encore assez de force ou de lâcheté pour répéter mon appel sans me précipiter à ta rencontre. Je ne sais pas comment c'est possible, mais j'existais encore assez pour toi pour que tu m'entendes et que tu me rejoignes.

Les chaises qui grincent sur le carrelage, la vaisselle qui tinte, les mâchoires qui mastiquent. Le silence qui oppresse. Et qui creuse comme un acide des tranchées glacées de désespoir. La table qui n'en finit pas de s'allonger entre tes yeux rougis et moi. Et, dans un nouveau claquement sec, la porte de ta chambre qui coupe net toute perspective de retrouver le bonheur.

ApocalypsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant