Le secret...

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A mes voisins...



L'oiseau blanc et le pêcheur.


Le pêcheur : « Rira bien qui rira le dernier ! ».

L'oiseau haï remonte et se fond aux nuages.

Le bel emplumé nargue à longueur de journées

Le pauvre travailleur bien amer et sans âge.

Le galérien qui souffre rongé par le sel

Pense à son filet maigre et son bateau vorace,

A son banquier vainqueur et sa femme si frêle,

A sa vie de labeur, son ventre qui grimace.

Alors quand le sang noir des bateaux se répand,

Sur lui un noir sourire aussi hideux s'étend :

Il guette dans le ciel le tout dernier plongeon.

Bientôt le bel oiseau dans un vif éclair blanc

Plonge et flotte sitôt, noir amas convulsant,

Dans la joie du pêcheur et les corps des poissons.





A première vue, c'étaient un appartement et un homme très ordinaires. Défraîchis, démodés et tout ce qu'il y a de plus désintéressant pour un incipit qui se veut in medias res. Mais on ne choisit pas toujours. Il pouvait avoir dans les soixante-dix ou quatre-vingt ans, guère plus et certainement pas moins. L'homme, pas l'appartement. L'appartement, et l'immeuble avec lui, avait une cinquantaine d'années maintenant. Et l'appartement de l'homme, depuis qu'il y avait emménagé, n'avait pas été refait. Or, cela ferait bientôt 40 ans que l'homme s'y fossilisait. Papiers peints bruns aux murs, des fleurs orangées imprimées sur ceux du salon et des chambres, des oiseaux sur ceux de la cuisine et de la salle de bains. Moche, en somme. Le mobilier, accordé à la laideur surannée des lieux, se composait de meubles sombres et rustiques, lourds et solennels. Les chaises et la table du salon, comme les étagères et autres surfaces inusitées, étaient couvertes d'une poussière sereine que rien ne viendrait déranger. La décoration, enfin, faite de bibelots en tous genres, tous assez laids, comptait même quelques petits animaux empaillés – un écureuil, un lapin et une colombe – dont l'effet était particulièrement sordide. Seul un vieux canapé défoncé, dans un coin du salon, face à un vieux poste de télévision perché en équilibre sur un vieux guéridon, signalait la présence d'une vie résiduelle dans ces lieux. Sur le téléviseur, un cadre accueillait le portrait d'une jeune femme. Légèrement défraîchie également. La photo, s'entend. Diffusant en continu un brouhaha de vie artificielle dans l'appartement, la télévision était la seule source de bruit. L'homme, lui se déplaçait en silence, et rarement, encore.

Là, l'homme s'est endormi, lunettes en travers, bouche entrouverte, la tête penchée en arrière et produisant un léger ronflement. Dans son fauteuil. La machine, elle, monologue sur divers sujets, comme à son habitude. Elle s'en fout, elle, de ce qui se passe autour, tant qu'elle émet. Et encore, c'est pas sûr que le silence l'émeuve. L'homme, que pour plus de confort nous appellerons Oswald, bouge légèrement les lèvres dans son sommeil et se gratte derrière l'oreille. C'est sa manie. L'une des seules choses qui lui soient restées, avec la vie, au fil du temps. Enfin, il grogne et s'éveille. Les yeux dans le vague, il se redresse en cherchant le verre d'eau qu'il a laissé sur la table basse, là, devant le fauteuil. Grimaçant, il se penche en avant et tend le bras. Après avoir bu, il tousse un peu et repose le verre à sa place. Dehors, la nuit est tombée depuis quelques heures. L'hiver a dénudé les arbres et fait de la vue un paysage sinistre, quelle que soit la fenêtre à laquelle on se poste. Oswald se rassied confortablement dans son fauteuil et fixe de nouveau l'écran blafard. Il pousse un soupir et monte le son. Il ne tardera sans doute pas à aller se coucher : laissons-le donc un peu.

ApocalypsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant