Chapitre 3 - partie 1

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Elfi marchait en tête, pieds nus dans la neige, la queue se balançant à un rythme régulier

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Elfi marchait en tête, pieds nus dans la neige, la queue se balançant à un rythme régulier. Son pas léger rendait sa démarche gracieuse et son allure soutenue, à tel point qu'elle n'avait aucun mal à devancer les chevaux et le mouflon de Sighild.

L'héritière de Thorov n'arrivait pas à oublier les mouvements de l'Onçaine – puisqu'il s'agissait là du nom de son espèce. Son corps de jeune femme ne laissait pas présager de sa force sauvage au moins égale à celle d'un véritable once. Sighild avait encore mal à la gorge et se faisait violence pour ne pas toucher aux plaies de son cou qui cicatrisaient doucement. Mais plus que son corps, c'était son ego qui avait souffert de la confrontation. Elle avait toujours été certaine d'avoir plus de force qu'une femme normale, parfois même qu'un homme. Pourtant aujourd'hui, elle avait été mise au tapis par une simple pucelle ! Plus vexant encore, celle-ci l'ignorait avec brio, préférant faire les yeux doux à ce bâtard du Sud !

Le voyage allait être long et pénible...

Une pause fut décidée à l'heure du midi. Les chevaux et Mund furent laissés au pied d'un petit affleurement qui accueillait encore un peu de végétation. Les chasseurs se réunirent à quelques foulées des animaux, près d'un arbre sous lequel se trouvaient d'imposantes pierres originaires du haut du relief. Les vivres de l'équipe avaient beaucoup diminué depuis leur départ de Thorov. Il ne leur restait tout au plus qu'un morceau de viande séchée chacun et une soupe à l'eau avec juste ce qu'il fallait de plantes pour donner du goût.

Sighild et Elfi ne se lâchaient pas du regard dès qu'ils se croisaient, se défiant en silence chaque fois qu'elles en avaient l'occasion. Mais l'Onçaine passait le plus clair de son temps à rire et partager sa joie avec le reste du groupe. Les trois hommes étaient pour elle de passionnants compagnons qu'elle aimait écouter autant qu'elle aimait leur parler. Il était rare pour son peuple d'accueillir des étrangers sédentaires venus d'un village guerrier réputé sur tout le continent. Quelques tribus nomades passaient bien à Egvel pour acheter des vivres mais elles repartaient vite vers les montagnes Digrandov, à l'ouest.

Le hennissement hystérique des chevaux déchira soudain la tranquillité. Tous les chasseurs se levèrent d'un même mouvement en portant la main au fourreau. Du côté des bêtes, le danger avait frappé sous les traits d'un once adulte de grande taille. La panthère des neiges avait surpris les animaux par le haut de l'affleurement et avait sauté sur Mund, lui brisant la nuque d'un coup sec. Les chevaux, apeurés, s'étaient enfuis.

Le cœur au bord des lèvres, Sighild enragea en regardant son mouflon couché sur une neige purpurine, le ventre ouvert, se faire dévorer les entrailles par un prédateur. L'irbis ne faisait pas attention à la femme et se contentait de continuer son repas, le premier depuis plusieurs jours à en juger l'allure à laquelle il ingurgitait la viande. Cela expliquait le risque qu'il prenait en chassant si près d'humains.

Sighild attrapa la lance d'Eivind.

— Sale bête ! cracha-t-elle.

La chasseuse courut tête baissée vers l'animal. Elle prit appui sur sa jambe gauche et lança l'arme d'un geste sûr et habile. L'once l'évita pourtant ; la lance se ficha dans la roche sans avoir atteint sa cible. Le léopard, lui, ne manqua pas Sighild lorsqu'il lui sauta dessus dans un rugissement profond. Ses griffes lacérèrent l'épaule gauche de la jeune femme qui plia sous le poids monstrueux de l'animal. L'once s'apprêtait à défigurer la chasseuse lorsqu'Elfi sauta au cou du prédateur pour détourner son attention. D'un mouvement leste, la bête se débarrassa de l'Onçaine qui retomba sur ses deux jambes. Quand Elfi fut certaine d'avoir capté le regard de son adversaire, elle essaya de l'intimider en grognant. Mais le léopard était trop affamé pour céder aussi facilement.

Les trois hommes voulurent intervenir lorsqu'Elfi les en dissuada d'un signe de main. Elle était à moitié once, elle saurait s'en sortir.

Le félin, une femelle, abandonna Sighild qui se redressa comme elle put tout en tenant son épaule ensanglantée. Elle n'avait pas l'intention de laisser l'animal impuni : puisqu'il avait tué sa monture, il deviendrait monture à son tour.

Un genou à terre, elle psalmodia des paroles incompréhensives, une main tendue vers la panthère. Autour du cou massif de cette dernière apparut un cercle bleu lumineux qui l'immobilisa aussi bien que l'aurait fait une longe. De son index, Sighild traça des runes invisibles dans l'air sans cesser de chuchoter son enchantement. Dès qu'elle baissa le doigt et qu'elle se tut, l'écriture s'illumina d'une intense lumière bleue. D'autres signes apparurent entre ceux tracés par l'humaine et le cercle qui emprisonnait l'once.

Les deux adversaires se défiaient dans une attitude enfiellée.

— L'âme prise doit être rendue, murmura Sighild. Je lie nos yeux par ce pacte dont seule la mort nous libérera. Soumets-toi à l'enfant qui commande la volonté.

La main de l'héritière de Thorov se referma sur les runes devenues palpables et tira dessus comme sur une laisse. L'irbis tira à l'opposé, bien décidée à se soustraire à cette chaîne magique dont elle ne voulait pas. La résistance du léopard des neiges au sort était impressionnante, pourtant elle finit par céder et se coucha sur le sol. Les écritures et le cercle se réunirent en une unique boule étincelante qui se logea au niveau de la gorge du prédateur. Là, elle devint une tâche bleue brillante mais discrète. L'orbe permettrait aux humains de comprendre l'animal jusqu'à ce que le pacte se brise.

Haletante, Sighild se redressa, la main toujours sur sa plaie. Thorkil s'avança vers elle pour la soigner comme il le pouvait. Epuisée par une magie qu'elle avait rarement pratiquée par manque de savoir, la chasseuse se laissa faire. Elle fixait le grand félin dont la queue interminable et touffue remuait de contrariété.

— Ton nom, intima la jeune femme.

— Signe.

Sa voix était grave, comme déformée par la paroi de sa gorge. Et son regard était à présent triste. Un chagrin à fendre l'âme.

— Bien, Signe. Puisque tu as tué ma monture, tu la remplaceras.

L'once laissa échapper un râle de mécontentement avant de faire demi-tour pour reprendre son repas.

— Halte ! Que crois-tu donc faire ?

— Me nourrir. Je n'ai plus mangé depuis des jours. Et avant ça je n'attrapais que des lapins. Depuis que les singes à tête d'os ont commencé à chasser le gibier, je n'ai plus rien à manger.

— Qu'as-tu dit ? intervint Vilfrid. Des singes à tête d'os ?

— Ils sont si nombreux qu'ils ont pris tout le gibier, expliqua la panthère. Ils ne mangent rien. Ils se contentent d'emmener leurs proies vers l'ouest, au pays où chantent les pierres.

— Comment le sais-tu ? demanda Sighild.

— Je les ai suivis et perdus là-bas.

— Je ne connais aucun endroit où chantent les pierres, réfléchit Elfi. Continuons jusqu'à mon village, nous aviserons ensuite. Cela ne sert à rien de nous précipiter inutilement.

— C'est peut-être le mieux à faire, concéda la fille d'Halfan.

Sans tenir compte des regards surpris de l'assemblée, Sighild rassembla ses affaires et se dirigea vers Signe. Elle fut accueillie par un rugissement inquiétant.

— Le pacte m'oblige à te protéger, pas à te servir aveuglément, humain.

— Sale bête ! cracha Sighild. Eivind ! Tu vas marcher, je prends ton cheval.

— Ils se sont enfuis, rappela le pisteur.

— Eh bien va les chercher...

Cette fois-ci, ce fut Elfi qui grogna, oreilles plaquées en arrière. Le ton qu'employait Sighild ne lui plaisait pas le moins du monde. Trop habitué au verbe blessant de sa cheffe, le pisteur obéit et se lança sur la trace de leurs montures avec l'aide d'Elfi et de Vilfrid.

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Livre 1 - SighildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant