Chapitre 18

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  Point de vue de Jamie

''-Jamie ?''

Ça doit faire au moins dix fois qu'il répète mon prénom, comme s'il voulait être sûr que ce soit bien moi. Mais je n'arrive pas à me résoudre à lui répondre, je ne peux pas. En plus de ça, le regard insistant de mon avocat ne m'aide absolument pas. Je souffle doucement dans le but de me calmer pour essayer, une bonne fois pour toute, de me montrer forte et de rassembler le peu de courage qu'il me reste encore depuis ces trois longues années :

''-Ça fait longtemps. ''

Ce sont les seuls mots que j'arrive à prononcer avant de retomber dans un silence pesant. Je sais ce qu'il ressent, c'est ce que je ressens aussi : un sentiment de non-acquis, rempli de regrets et de remords alors j'attends parce que s'il y a bien une personne qui le comprend en ce moment, c'est bien moi et putain que ça fait mal.

''- Oui, ça fait longtemps. Tu vas bien ? ''

Je sais aussi qu'il vient de prononcer cette phrase dans le seul but de lancer la conversation : il sait que je suis enfermée et il n'a jamais voulu rien faire pour changer cela. Qu'aurait pu-t-il faire de toute façon ? Aucun de nous n'a le pouvoir de changer le destin.

''- Je vais bien, je suis en train de me battre pour sortir. Et toi ?
- C'est bien que tu te battes, tu le mérites. Je vais bien, j'essaye d'oublier. ''

C'est aussi ce trait de personnalité qui m'a fait tomber amoureuse de lui : sa manière de dire en toute circonstance les mots justes. Oublier, c'est ce que je m'efforce de faire depuis des années et dire que c'est difficile serait un euphémisme.

''- Tu y arrives ? Oublier, tu y arrives ?
- Je serais rentrer si c'était le cas, Jam. ''

Après toutes ces années, tout est intact, de son côté comme du mien. Comment avancer avec ça ? Entendre mon surnom me donne des frissons dans tout le corps, le temps n'efface rien. J'en ai toujours eu conscience mais là, ça me frappe de plein fouet.

''- Ton avocat m'a dit que tu avais besoin de moi ? Reprend-il avec une voix plus grave qui lui correspond deux fois plus. ''

Je suis soulagée qu'il aille directement au sujet principal en passant outre ces prises de conscience inutiles qui me torrent les entrailles.

''- Oui, j'ai besoin de toi.
- Comme avant ? ''

Il faut vraiment qu'il arrête, mon cœur n'est pas assez fort pour supporter tout ceci, il ne l'a jamais été.

''- Rien ne sera plus comme avant, Harry. Dis-je dans un souffle.
- Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? J'entends même son cœur se briser.
- Malia a refait surface.
- Elle veut mettre en péril tes chances de sortir ?
- Oui, elle veut me faire souffrir. Mais pourquoi ? ''

Un autre temps d'attente mais cette fois-ci il n'est pas gênant. Il sonne totalement différemment et tout ça m'indique que je ne vais pas du tout apprécier la suite :

''- Il y a des choses que tu ne sais pas Jamie.
- Comme quoi ?
- A l'époque, ce n'était pas que l'amour qu'elle me portait qui la guidait. Elle est malade, Jam. Elle est obsédée, elle a voulu m'empêcher de partir. Même après, elle me cherchait.
- Tu ne m'a jamais parlé de tout ça. Annonçais-je troublée.
- Évidemment Jamie. Je ne voulais en aucun cas t'inquiéter et risquer de te mettre en danger. Je ne pouvais pas. Je sais que tu aurais fait la même chose pour moi.
- C'est vrai. ''

Cette vérité me fait sourire, Harry et moi c'était une histoire d'amour digne des contes de fée avant tout ça. L'amour qu'on se portait réciproquement était tellement intense. Aucun de nous n'aurait supporter que l'autre souffre.

''- Encore désolé pour Juilliard. ''

Ça a toujours été son truc ça, lancer des phrases dans le vent en attendant que je les assimilent :

''- Ça fait parti du passé Harry. Juilliard était un rêve.
- Un rêve qui était en train de se réaliser.
- Ils ne se réalisent jamais Harry, c'est bien pour ça qu'on appelle ça des rêves.
- Sauf que dans ce cas là, c'est de ma faute.
- C'est de la faute de personne Haz, c'est comme ça c'est tout. ''

Étant jeune, je ne croyais pas à cette connerie de destin ou de fatalité. Pour moi, il n'y avait que deux points importants : A et B, la naissance et la mort, il n'y avait rien d'autre, pas de forces supérieures, rien que le début et la fin. Le milieu était seulement ce qu'on voulait faire de notre temps. Pas de destin, juste une ligne de conduite que chacun suivait à sa manière, comme il le voulait. Vivre en prison m'a permis de voir à quel point j'avais tord. Trop de malheurs se sont installés dans ma vie pour que ce soient de simples coïncidences, j'étais destinée à perdre.

''- Tu n'as jamais répondu à ma lettre. Reprend -t-il avec un brin de tristesse dans la voix.
- Quelle lettre ?
- Je l'avais mis sur ton lit la veille de mon départ.
- Non, il n'y avait aucune lettre, Harry. Je n'en ai eu aucune de toi.
- Quoi ? ''

Par l'intention de sa voix, j'ai senti qu'il avait compris.

''- Malia. ''

On l'a dit d'une même voix comme si c'était une évidence depuis longtemps.

''- Promet moi de faire attention à toi, Jam. ''

Ce sont les derniers mots qu'il annonce avant de raccrocher. Je relève enfin les yeux de la table qui me semblait magnifique depuis le début de la discussion et fait face à mon cher avocat :

''- Je vais m'occuper d'elle, Mademoiselle. Tout va rentrer dans l'ordre. Dit-il.''


Point de vue de Louis

Mon plan n'a pas vraiment fonctionné comme je le voulais , il n'a pas fonctionné du tout en fait. Je devais seulement voir ma mère et prendre la photo, c'était ce qui été prévu. Ce n'est absolument pas ce que j'ai fait et tant mieux : j'ai parlé avec mon père, ce n'était peut-être pas la discussion la plus profonde du monde mais on a réussi à communiquer et c'est une chose qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps.
Quand ma mère est rentrée, on a tout simplement bu du champagne et mangé des gâteaux typiquement anglais, comme quand j'étais enfant. Ça a bien duré trois bonnes heures puis j'ai décidé de parler de cette photo à ma mère, je me suis fait interroger sans ménagement car sa curiosité et sa capacité à se mêler de tout à toujours été sans faille. J'ai dû inventer un petit mensonge, je ne m'en rappelle même plus en fait, j'espère qu'elle ne m'en reparlera jamais car je risque de lui sortir une version complètement différente : mon mensonge devait vraiment être tiré par les cheveux. En tout cas, elle me l'a donné. Évidemment on a dû se retaper tous les albums de famille mais c'était l'occasion de retomber dans mes vieux souvenirs et c'était plutôt sympa ; j'ai retrouvé pendant cet instant la complicité que j'ai toujours eu avec ma génitrice.
C'est quand j'ai eu la photo en main que j'ai réalisé que c'était exactement celle qu'il me fallait, ce n'est pas une photo particulièrement travaillée avec des angles parfaits, non c'est seulement une photo prit sur le fait. Ce qui pour moi l'a rend encore plus belle est tout simplement le fait que ce sourire sincère est le seul que j'ai fait de toute la soirée, ça le rend encore plus unique. Et le plus important, sans me vanter bien sûr, c'est que je me trouve beau sur cette photo. J'espère juste que Jamie sera de mon avis maintenant.

Je rentre enfin dans mon appartement après pas mal de minutes de marche en retour de chez mes parents, je devais rejoindre les gars à Camdem mais je suis beaucoup trop crevé pour ça, surtout émotif en fait. Donc j'ai pris la décision la plus sage en rentrant chez moi et en profiter pour manger un plateau télé devant un bon film : quoi de mieux que Fight Club pour ça ?
Mais mes projets se sont vite montrés irréalisables quand j'ai trouvé Malia en plein milieu de mon salon après trois jours sans aucune nouvelle :

''- Désolé Loulou, j'avais des trucs à régler. ''

Elle dit ça d'un ton complètement détaché mas ça ne me rassure absolument pas, ses yeux sont beaucoup trop noirs. 

Prisonnier 45775Où les histoires vivent. Découvrez maintenant