Chapitre X

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 Lorsque Francesca s'encadra dans la porte du bureau, elle devint soudain légèrement évanescente et fut enveloppée d'une lueur bleutée. Pascal écarquilla les yeux:

- Mon Dieu Francesca, c'est extraordinaire! On dirait une déesse irradiant son aura!

- Je vous en prie Pascal, vous ne m'aidez pas vraiment là, répondit-elle en se glissant derrière son bureau, comme pour se protéger.

- Excusez-moi, mais c'était vraiment extraordinaire. Vous êtes redevenues normal à présent. Mais je crains que ce phénomène n'augure rien de bon.

 Il s'assit face à sa patronne l'air à la fois soucieux et quelque peu désemparé.

- Je...j'ai heu j'ai récupéré votre ordinateur, balbutia-t-il-il en le déposant sur le bureau.

 Il prit une longue inspiration, souffla puis, tout en se concentrant sur son propre ordinateur, il commença:

- Tous d'abord le document que vous avez photographié: il s'agit d'une hagiographie de Saint Hubert dont le grand fait d'arme est d'avoir vaincu un démon. Ce démon s'était échappé de l'enfer grâce à une balance ou un tourniquet dont l'axe est marqué par le menhir qui est appelé le Clou. Avant cela le carrefour où officiait le démon ce déplaçait dans la forêt. Ce Saint Hubert fit descendre le feu du ciel sur le démon, et lui-même monta directement au ciel non sans avoir auparavant donner instruction d'ériger le Clou pour fixer le carrefour. Le clou est du granit, et ses dimensions sont à ce point précises que l'ont peut en calculer le volume assez précisément. Et il est bien stipulé qu'aucune partie ne doit être taillée ni retranchée. Je pense que la masse de ce menhir est un point crucial.

 Durant un bref instant Francesca redevint évanescente. Pascal se crispa sur son ordinateur et son visage se creusa d'inquiétude. 

- Je constate que les errements de la lune se sont considérablement accentuées, dit Francesca en consultant son ordinateur. La situation devient véritablement critique.

- C'est exact. Et en fait vos évanescences semblent synchronisées avec certains de ces sauts hors de la trajectoire.

 Pascal continua:

- Maintenant si le voulez bien, le flash dans le laboratoire de chimie. La masse des échantillons disparus étaient à peu près égale à celle des éléments de la sonde qui ont aussi disparus. Après leur disparition l'écart moyen de la lune par rapport à son orbite théorique a en moyenne légèrement diminué. Cette différence est faible mais parfaitement significative. Une annihilation de masses issues des deux univers semble tendre à rééquilibrer ces derniers. Le voyage et le transfert de masses d'un univers à l'autre crée l'instabilité qui se résout par cette annihilation.

- Cela veut dire que tout corps qui voyage d'un univers à l'autre crée le déséquilibre jusqu'à ce qu'il se détruise, ou s'annihile comme vous dites. Si on considère l'hypothèse d'une singularité de Terzief sous le menhir, cela serait possible.

- Mes premiers calculs confirment en effet cette hypothèse. La masse du Clou équilibre la masse négative de la singularité, et l'annihilation de la masse du démon et de Saint Hubert, qui étaient probablement des voyageurs comme vous, a stabilisé le carrefour. Et probablement cette terre parallèle se déplace-t-elle à nouveau très légèrement autour de la singularité. J'ajouterai que les deux masses doivent provenir chacune d'un des deux mondes et avoir chacune voyagée de l'un à l'autre.

- Je vois ce qu'il me reste à faire. Je connais mon Saint Hubert. Allons au laboratoire, il y a urgence.

 Elle se leva et sortit du bureau, Pascal sur ses talons. 

- Attendez Francesca, qu'allez-vous faire? Il y a sûrement une autre solution! Peut-être qu'en transférant d'importantes masses de roches, votre propre masse deviendra un élément négligeable de l'équation.

- ...et la lune tombera sur terre bien avant l'annihilation de ces roches.

- Peut-être qu'en prenant une petite masse mais en la soumettant à une très forte accélération... Laissez-moi un peu de temps et nous trouverons une solution. Et puis nous... nous devrions peut-être consulter l'aumônier. Et puis qui c'est, votre Saint Hubert?

 Ils étaient arrivés au laboratoire où ils trouvèrent le professeur Feather.

- Ah vous voilà Francesca, fit-il. Notre facture d'énergie dépasse de trente pour-cent les prévisions. Nous devons faire une demande de rallonge dans la semaine si nous voulons équilibrer notre budget annuel. Pour ce faire il suffirait peut-être de rendre au fournisseur une partie de notre stock de gaz rares.

- Faites comme cela professeur répondit-elle en fixant la ceinture jaune du générateur.

 Elle se dirigea vers la petite salle d'eau attenante où elle gardait une trousse de toilette. Elle n'y trouva rien pour se maquiller, mais se coiffa soigneusement, se rinça les yeux et se tapota les joues. Puis elle sortit et monta sur la plate-forme de transfert devant un Pascal en larme:

- Vous ne pouvez pas faire ça comme ça, s'affola-t-il. Nous devons réfléchir, établir un protocole. Vous devez régler vos affaires, faire votre testament, que sais-je...

- J'ai réglé mes affaires avant le premier transfert, Pascal. Adieu et merci pour tout. Vous êtes certainement l'être qui m'est le plus cher en ce monde.

- Adieu Francesca. Je vous aime. Que Dieu vous protège!

 Elle enclencha son générateur et disparue dans le flash habituel. Au pied de la plate-forme, Pascal s'effondra en larme. Il se recroquevilla lentement sur le sol en position fœtal dans un grand cri silencieux. 

- Pascal, savez-vous s'il nous reste de l'argon demanda le professeur Feather? Monsieur Longchamp? Vous ne vous montrez pas très utile. Voilà pourquoi je désapprouve les aventures sentimentales au travail.

Le Carrefour DiaboliqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant