✖ Chapitre 21 : Rose ou bleue, une fille reste une fille ✖

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(Walk Of Life – Dire Straits)

Deux semaines s'étaient écoulées depuis la première répétition, et l'ambiance au sein du groupe allait bon vent: Léonard ironisait à tout bout de champ, Simon se moquait de lui, Alex riait, et je surveillais ces trois gaillards pour éviter que ça dégénère. Un boulot en or, je vous dis.

Dans l'esprit de certaines personnes, monter un groupe se fait en un claquement de doigts. Une fois qu'on a les membres, après deux, trois représentations dans un bar le samedi soir, on se fait repérer par un gentil gars qui nous recrute dans sa maison de disques, et, deux mois plus tard, on sort un album et on est connu à l'internationale.

Sauf que ça ne se passe pas comme ça. Les gars jouaient déjà ensemble depuis plusieurs années et ils n'avaient jamais été recrutés nul part, mais avaient composé une ou deux chansons, qu'Alex avait pris le temps de m'apprendre pour que je suive le rythme oral. Je reconnu parmi ces deux-là celle que j'avais entendu le premier jour, et pouvoir la chanter à mon tour était extrêmement étrange. J'avais un peu l'impression de faire du plagiat, et Alex me rassurait à ce propos. Je crois bien que de nous quatre, c'était lui qui était le plus calme et qui gérait au mieux nos différents caractères.

En parlant de personne avec qui je m'étais comprise en un clin d'œil, il y avait aussi Hécate. Au bout de trois entrevues, on s'était entendue comme les doigts de la main – je ne comprenais pas cette expression d'ailleurs, depuis quand les doigts ont des oreilles ? Chaque après-midi, Hécate venait devant Ravel, et on se retrouvait avec elle et sa sœur, son emploi du temps étant plus sympathique que le notre. Lorsqu'on finissait plus tôt, c'était nous qui allions la rejoindre devant le lycée Voltaire, et on restait assise là, à bavarder, jusqu'à ce que l'heure nous rappelle que nous avions des familles – et accessoirement, une petite sœur à aller chercher à la primaire à 18 heures tapantes, mais c'est un détail.

Je préférais largement les après-midi où je la rejoignais devant son lycée. Celui-ci ne ressemblait en rien au notre, ni même à Hélène Boucher, pour plusieurs raisons très simples. La première, sa taille.

Ça me paraissait aberrant lorsqu'elle me l'avait raconté, Ravel étant pour moi un collège-lycée immense de 2000 élèves, tout comme son voisin Hélène Boucher. Mais à côté de l'usine monstre de Voltaire, un des plus grands lycées de Paris, nous avions l'air d'une petite école de quartier. Chaque jour, plus de 3000 élèves –enfin, 3000 sur les listes officielles, on connaît tous notre carnet d'absentéistes compulsifs – se pressaient dans le bâtiment de quatre étages (sous-sol inclus) qui, d'après les descriptions que m'en faisaient Hécate, était un véritable dédale de couloirs. Chaque matin et après-midi, elle avait l'impression de découvrir un nouveau couloir, et se demandait toujours où atterrirait l'escalier. Chez les collégiens? Dans la cour d'honneur? Le mystère de son quotidien. Mais ce qui l'amusait le plus, c'était quand elle avait cours de français, maths ou de musculation – oui, ces salles se situent les unes à côté des autres – et qu'elle se retrouvait à courir dans les couloirs du sous-sol, se perdant complètement et arrivant en retard, ce qui la faisait encore plus rire.

La seconde, c'était les élèves qui le composaient. Si, dans tous les autres lycées, la " mixité sociale" mise en vigueur avait fonctionné, à Voltaire, c'était tout le contraire. Avec Bergson et Colbert – étrangement situés tout deux à un quart d'heure à pied de chez moi - , c'était le lycée poubelle, où on envoyait tous les élèves qui avaient été refusés dans les autres. Alors forcément, le peu de bons élèves qui s'y trouvaient étaient loin de représentés une majorité, tout comme les gosses à papa des beaux quartiers du district est. On y trouvait toutes les classes sociales, tous les types d'adolescents : les "j'en-ai-rien-à-foutre",les "rebelles" (si, ceux qui se disent anarchistes mais qui sont incapables de faire une connerie), les punks, les fans de manga– j'ai actuellement un trou sur leur nom, pourtant Hécate ne cesse de me le répéter -, les branleurs de premières, les pétasses de premières (qui s'associent souvent, remarquez), les geeks, les fouteurs de merde, les solitaires, les dépressifs, les "populaires"et bien entendu, quelques intellos, mais faut-il réellement les mentionner lorsqu'on parle de Voltaire?

Rock It (Inachevée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant