Chapitre 1

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   - Donc voilà la cafétéria, c'est l'endroit où les pensionnaires passent la majeure partie de leur temps. Il y a des films, là-bas, près de l'écran, mais pas de réseau internet, on préfère privilégier une isolation maximale. Là, il y a le self service, et vous pouvez vous asseoir où vous voulez. Et s'il y a un souci, de n'importe quelle nature, vous pouvez m'appeler, moi ou un de mes collègues.

Seth remercia l'infirmière, qui tourna les talons pour repartir d'où ils étaient venus. La cafète était une salle vaste et dégagée, lumineuse de par les fenêtres qui en ornaient toute une façade. Le style était sobre, sans classe particulière, mais Seth ne s'en serait pas plaint. Il avait encore en tête les gémissements des salles inférieures. Au moins ici, les gens parlaient.
Seth prit un café, qui lui rappela tous ceux ingérés pour dessoûler avant un rendez-vous avec ses producteurs. Il recracha aussitôt le liquide brûlant dans le récipient, et ne vit pas l'un des pensionnaire qui se dirigeait vers la table où il s'était installé, à l'écart.

   - Héro ou croco ?

Seth leva les yeux vers le colosse qui lui faisait face, un homme de la trentaine, aux cheveux longs et origines latino, à qui il manquait la moitié du bras gauche.

   - Quoi ?

   - Héroïne ou crocodile ?

   - Crocodile. Mais j'avais commencé par l'héroïne.

   - Ça craint. Tu vivais à L.A. avant, je me trompe ? C'est comment, Hollywood ?

- Génial. C'est le genre d'endroit où tu peux goûter de tout.

- Le Nirvana.

- Hm. Sauf qu'après, t'atterris ici.

Le colosse s'assit à côté de lui, et se présenta :

- Leandro.

- Seth.

- Banner ?

Le guitariste hésita à se créer une fausse identité russe, puis opta pour la vérité en songeant que son mensonge impliquerait d'imiter l'accent soviet tout au long de sa cure.

- Y a des types qui t'ont reconnu, continua Leandro. D'après eux, t'es célèbre dans le monde de la musique. Tu fais quoi ? Du rap ?

- Tous les Blacks ne rappent pas tu sais, répliqua Seth avec un sourire narquois. Mon truc, c'était le rock.

- Hm. Je connais que les authentiques moi, tu vois, les Beatles, les Stones, Led Zep etc. Le nouveau courant, le vin rock, c'est pas trop mon truc.

Seth hocha la tête et se concentra sur sa tasse.

- N'empêche, ajouta Leandro, si tu me signes un autographe, je pourrais gagner de l'argent en le revendant, non ?

- Si je crève ici il y a des chances.

Le latino secoua la tête.

- Tu vas pas crever ici.

- Peut-être bien que si. Tu connais le regard que te lancent les médecins quand ils te disent que t'es en bonne voie, alors que tu sais que t'es dans la merde ?

- Évidemment. Mais ça change rien, tu vas pas crever. Sinon, tu serais pas ici. T'es dans les étages, mon gars. Et je vais te dire comment ça se passe, dans cet endroit ; t'arrives et t'es casé au sous-sol, le temps de voir si t'es foutu ou non. T'y restes environ un mois, et si tu passes le manque, tu montes à la cafète, et tu peux considérer que t'es tiré d'affaire.

- Pourquoi ils font ça ?

- C'est symbolique. C'est genre tu commences en enfer, et tu finis au septième ciel. Tu comprends l'idée ? C'est une sorte de récompense. 'Fin tout ça pour te dire que s'il faut qu'il y ait un accident, c'est en bas que ça se passe.

Seth hocha la tête, pensif. Leandro attrapa sa tasse.

- Je te prends un peu de café.

- Non. J'ai craché dedans.

🚬🚬🚬

- Asseyez-vous.

Seth s'exécuta et retira la veste qu'il avait posée sur ses épaules. Il tenta ensuite d'enlever son t shirt à une seule main, et rencontra des complications.

- Vous voulez de l'aide ?

Angie, indiquait son badge, comme la chanson des Rolling Stones, était l'aide soignante qui était venue le chercher aux sous sols, et qui lui avait montré la cafétéria.

- Ça va aller.

L'idée d'être aussi dépendant le dérangeait - fierté à la con.
Au prix d'un laborieux effort, il finit par retirer le vêtement, et découvrit ses côtes, saillantes sous sa peau autrefois d'un marron chaud, aujourd'hui plus grise que brune. De petites blessures, percées comme au tournevis, ornaient son torse en plusieurs points, recouverts de pansements. Douloureux, plutôt laid, mais pas mortel. Le vrai danger résidait dans ses poumons, les veines obstruées, les dégâts que le produit continuait de causer à l'intérieur de son corps, sur ses organes.

Mais le pire, le pire de tout, c'était son bras, ou plutôt son absence de bras droit.
Sitôt déshabillé, il détourna la tête. La première fois qu'il avait vu le moignon, il avait dégueulé. À ne pas refaire.

- La régénération pourra bientôt avoir lieu, commenta Angie, le temps de faire venir l'équipement. Enfin, si c'est toujours ce que vous voulez.

- Pourquoi je ne voudrais pas ?

L'infirmière haussa les épaules.

- Vous aurez un bras tout neuf, mais immobile dans un premier temps. Il faudra attendre que les nerfs s'activent. Après ça, il faudra de la kiné, beaucoup de kiné, pour pouvoir prendre à nouveau des objets, ou écrire.

Seth songea aussitôt à la guitare. C'était ironique, il aurait beau s'entraîner des années durant (en supposant qu'il vive), il ne jouerait jamais comme avant.

L'infirmière changea de sujet.

- Vous êtes fumeur ?

- Je l'étais avant de venir ici.

- Vous pourriez me dire à quelle fréquence vous fumiez ?

- Tous les jours, je pense.

- Quelle quantité ?

- Deux paquets, peut-être plus.

Elle nota sans faire de commentaire.

- Et comment avez-vous commencé ?

Seth lui lança un regard surpris.

- C'est pour le dossier, ça ?

- Non, juste pour ma curiosité.

Il réfléchit un instant.

- Je suis arrivé à Hollywood, j'avais jamais vu une cigarette. La première que j'ai vue, c'était un flic qui la fumait.

Elle eut un sourire et prépara une seringue.

Note de l'auteure : Crocodile n'est pas une histoire de science fiction, mais elle se base néanmoins dans un futur proche, dans lequel un courant renaissant s'impose, le vin rock (vin = vintage), la vente de tabac est illégale (cependant pas la consommation), et la régénération des membres possible, à condition d'avoir les moyens et la patience...

CrocodileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant