Chapitre 3

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    - J'étais cuistot, avant. Non mais, vraiment cuisinier. Du genre qui fait des pâtes et tout ça. Sauf que je faisais de la putain de cuisine française, mon gars, je te jure que c'était excellent. J'avais passé des années à apprendre à Paris, puis j'avais trouvé un boulot à Washington. J'ai rencontré une fille, aussi, une vraie bombe. Des yeux noirs, des longues jambes, c'était une biche. Seul bémol de l'histoire : elle était complètement accro à toutes sortes de dope.
Bref, elle m'a présenté ses potes, j'ai goûté. Une seule fois, que j'avais dit. Mais ça a pas tenu longtemps...

    - T'étais déjà accro, suggéra Eli, un garçon de la vingtaine qui était au Snow depuis trois mois.

Leandro secoua la tête.

    - Non Mec. J'étais amoureux.

Seth sourit dans son coin. Sa main libre était posée sur un unique écouteur gauche.

   - Enfin, continua Leandro, j'ai déconné et j'ai perdu mon boulot. À partir de là, j'avais plus de raison de doser.

Les autres hochèrent la tête, les yeux plongés dans leur café dégueulasse.

    - Mon frère était cuistot, fit Eli. Et pas le cuistot qui fait de pâtes, hein. Un jour, je suis entré dans sa chambre, c'est là qu'il fabriquait de la croco. Ma mère était trop alcoolo pour s'en rendre compte, mais moi, je le savais. Y avait une seringue, et y restait du liquide dedans. Je me suis piqué, quand j'y pense, c'est un miracle que j'aie réussi sans problème.
Quand mon frère s'est fait arrêter, j'ai repris son matériel et je suis devenu cuistot à sa place. J'en consommais énormément, mais j'aimais pas me piquer. J'avais la phobie des piqûres. C'était toujours les autres qui le faisaient à ma place. Quand j'y repense, j'ai de la chance qu'on m'ait pas amputé.

    - Et toi Sarah ? demanda Leandro. C'est ton tour de raconter, on n'a jamais su.

La jeune femme soupira. Plutôt petite, le visage anguleux et les cheveux bleutés, elle avait un tatouage représentant une aile sur la joue. Elle n'était jamais très bavarde, à vrai dire, elle était plutôt amère et le reste du groupe aimait bien la provoquer un peu.

    - J'ai grandi dans le district le plus pourri de New York...

    - Le Bronx ? suggéra Jake, un ancien du centre.

    - Non, Brooklyn.

    - Le Bronx est pire que Brooklyn !

    - Rien n'est pire que Coney Island.

    - Ok, si tu veux.

    - Bref, y a pas de secret. On voulait tous dégager de ce coin pourri. Mais on pouvait pas, donc on trouvait d'autres moyens de se barrer. Et comme ça devait arriver, c'est parti en couilles.

Les pensionnaires acquiescèrent.

    - Seth, tu rejoins le commun des mortels ?

Le guitariste retira son écouteur.

    - Quoi ?

    - Dis-le si tu veux pas causer.

    - Désolé. C'était quoi la question ?

    - La première fois que tu t'es piqué.

Il soupira.

    - T'as de ces questions...

Il rangea l'écouteur sans fil dans sa poche.

    - J'ai quitté l'Afrique du Sud sans fric, sans rien. Le même mois, j'ai découvert Hollywood, et le trottoir. Les mecs prenaient de l'herbe, du speed, de la coke parfois. Tout ce qui était facile à trouver. Ils ont même pas eu à me convaincre.
Y avait une sorte de rumeur qui courait dans les rues de L.A., à propos d'un hôtel, le Paolin Palace. L'année, c'était l'endroit le plus luxueux de la côte ouest. Mais à la fin de l'été, le propriétaire, le chanteur de PLS, y organisait des soirées démentielles. Les plus grandes stars du vin venaient, et une fois sur deux, ça se transformait en orgie. On parlait aussi d'un buffet, un énorme buffet de stupéfiants.

Les pensionnaires échangèrent des regards en coin. Certains connaissaient l'endroit, et les légendes qui couraient dessus.

    - Quelques années plus tard, lorsque ça a commencé à bien marcher pour moi, je suis allé au Paolin. J'étais déjà un peu accro aux amphètes, mais c'était pas ce que je voulais ce soir là. Je voulais vraiment m'éclater. On m'a conseillé l'héroïne, j'ai pris. C'était là, la première fois que je me suis piqué.

Seth s'interrompit, Angie passait de l'autre côté du la cafétéria. Il ne l'avait plus revue depuis Helena. Elle avait l'air sombre, et préoccupé.

Il se leva, sous les commentaires sarcastiques de Leandro, et rejoignit l'infirmière.

    - Tu m'as poussée à bout, fit-elle avant qu'il ait eu le temps de parler.

    - Je suis venu m'excuser.

    - Helena est morte.

Seth se figea.

    - Oh shit.

    - Tu dois être content, tu avais raison. Elle était condamnée. Ses organes, c'était plus qu'une bouillie noire, pareil pour l'intérieur de sa bouche et de son crâne. Son ventre était troué, elle se vidait presque. Ses pieds, on aurait dit ceux d'une momie. Elle crachait littéralement ses poumons, et tous les boyaux qui y conduisaient.

    - Pourquoi tu me dis ça ?

Angie baissa les yeux et s'engouffra dans le couloir. Seth la suivit et attrapa son poignet. Elle s'énerva.

    - Mais qu'est-ce que tu veux ?!

Elle avait les yeux rouges et humides, il l'attira contre elle, contre sa veste trop grande. Après une légère résistance, elle se laissa aller.

    - On n'a pas tant de morts, tu sais, dit-elle. C'est rare, les pertes. Mais j'en ai assez de me montrer positive, généreuse et gentille, alors que j'ai juste envie d'envoyer tout le monde se faire foutre !

Seth l'attira contre son torse avec son bras valide.

    - Tu peux m'envoyer me faire foutre, si ça te fait du bien.

Il y eut quelques secondes de silence, durant lesquelles elle dut réfléchir.

    - Va te faire foutre.

Il sourit et la serra plus fort.


Note de l'auteure : il y a toujours une musique en média pour ceux à qui ça plait de lire en écoutant ;)

CrocodileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant