Chapitre 7

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Seth était assis dans le salon, à même le sol, le transmetteur devant lui, les yeux dans le vide.
Sa grande villa était oppressante, il avait littéralement envie de tout casser. Les meubles, les objets de déco, les instruments et ces fucking médiateurs qui traînaient un peu partout.
Il était sur les nerfs, sans savoir pourquoi, il fumait cigarette sur cigarette sans que cela parvienne à le calmer.
Le transmetteur sonna, il hésita un instant à prendre la communication.
C'était son agente.

    - Seth ? Je sais que tu es là, ça ne sert à rien de me nier !

Il soupira et s'alluma une nouvelle clope, qu'il glissa entre ses lèvres.

    - Arrête de m'ignorer. Je ne suis pas ton ennemie, tu le sais ! Je suis là pour t'aider !

Le chanteur se résigna et attrapa l'appareil.

    - Seth ?

    - Salut Eileen.

    - T'as pas l'air dans ton assiette.

    - J'ai mal dormi. Qu'est-ce qu'il y a ?

    - Les médias, Seth. Ils racontent que tu es un junkie !

    - Les médias, ils me font chier. Laisse les dire ce qu'ils veulent, on s'en branle.

    - Chéri tu es un junkie, c'est un fait. Mais le monde entier n'est pas obligé de le savoir. Il faut vraiment que tu te ressaisisses, mon grand.

Seth grogna et attrapa ses cheveux dans un geste nerveux.

    - Je ne suis pas drogué !

Il ignorait même s'il y croyait, ou non. Là n'était pas la question.

    - Poussin, je t'entends grincer des dents depuis l'autre bout de la communication.

Seth garda le silence, furieux.

    - Allez, je t'appelle demain. Ressaisis-toi ! répéta-t-elle.

Elle coupa, et Seth soupira en rejetant la tête en arrière.
Il avait aimé le succès, les premiers mois. Les autographes, les gens qui le reconnaissaient dans la rue, autant de gages que ce qu'il faisait plaisait au public. C'était sûrement vaniteux, mais il y avait pris plaisir.

Pourtant actuellement, il en avait assez. Assez des médias, des journalistes et des paparazzis qui ne lui lâchaient pas les basques, de la presse à scandale à qui il devait sans cesse rendre des comptes.
Comment avait-il pu passer du statut de jeune prostitué anonyme à celui de star planétaire ?
Il n'en voulait pas, de ce titre, et il ne voulait pas des responsabilités que cela impliquait. Il ne voulait pas "se ressaisir", surtout pas pour satisfaire les bonnes pensées d'autres que lui.

Tout ce qu'il voulait c'était composer, jouer et se droguer si cela lui chantait, cela ne regardait que lui.
Certes, c'était agir comme un enfant capricieux, mais n'était-il pas une personne libre ?

Seulement la liberté, il l'avait vite compris, avait tout d'une illusion à Hollywood.
Au final, ils étaient tous enfermés dans un enclos, lequel était entouré de projecteurs.

Seth récupéra le transmetteur et lança une nouvelle communication.

- Lem ?

- Seth ? Je te préviens tout de suite vieux, j'ai pas trouvé.

Le guitariste émit une plainte.

- Tu te fous de moi...

    - Je suis désolé, on trouve plus rien. Même Vouer arrive plus à s'en procurer. Ça a toujours été rare, mais là, c'est la panne sèche.

    - Y a forcément une solution... Je suis prêt à payer...

    - Je sais vieux, mais c'est pas le problème...

    - Lem tu comprends pas, ça va vraiment pas là. Les murs se rapprochent, j'arrive plus à dormir ni à manger. Je me sens super mal. Et t'as ces fils de pute, mes connards de producteurs qui me collent au cul... Putain Lem, y a tellement de contrats que j'aurais jamais du signer...

L'autre soupira.

    - Je comprends vieux. Bon écoute, y a peut-être une solution, mais elle va pas te plaire.

Seth se redressa péniblement et s'appuya contre le mur.

    - C'est quoi ?

    - T'as déjà entendu parler de la drogue crocodile ?

Le guitariste se figea.

    - C'est pas cette merde qui fait des ravages en Russie ? Le truc qui troue la peau ?

    - C'est super dangereux, mais les effets sont pratiquement les mêmes que ceux de ce que tu prenais avant. Par contre ça va te bouffer, alors diminue sérieusement ta conso.

Le chanteur hésita quelques instants.

    - Tu en vends ?

    - Non mec, ça se vend pas ce truc, ça se fabrique. J'ai des cachets de codéine par contre, et de l'essence. C'est le plus dur à trouver depuis que tous les véhicules sont électriques, mais c'est possible et l'achat est légal.

    - Ok. La recette, c'est quoi ?

    - Je vais t'envoyer ce que tu dois faire. Mais, Seth ? La plupart de mes clients en veulent pas, de cette merde. C'est vraiment toxique et c'est super dangereux, vraiment.

Il ajouta, juste avant de couper :

    - Fais attention.

🚬🚬🚬

Seth était pâle, silencieux, les orbites creuses et le regard vide. Angie ne disait pas un mot non plus.
Il la laissait faire parce qu'il n'avait pas la force de résister, elle le soignait parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre.
Les gens étaient fragiles, elle l'avait toujours su. Une âme complexe dans un corps éphémère.
Les gens étaient faibles, elle l'avait appris. Mais lui l'était encore plus. Et elle l'était encore plus que lui.

- Suis-moi, murmura-t-elle quand elle eut fini.

Elle le conduisit dans une minuscule pièce, qui ressemblait à un placard mais comportait tout de même un lit, et le fit asseoir.

- Tu savais que les Maasaï ne ressentaient jamais que l'instant présent ? Ils étaient incapables d'envisager l'avenir, ce n'était simplement pas dans leur culture.

Le message était clair. Elle voulait qu'ils oublient le futur, rien qu'un moment, elle voulait le libérer. Bien qu'incertain, son sort à venir n'influençait en rien le présent.
C'était la seule manière dont il pouvait penser, c'était sa dernière chance de vivre désormais.

Angie s'accroupit et passa ses mains sur le visage émacié du guitariste, qui l'attira contre elle.
Ils se déshabillèrent doucement, pour faire l'amour violemment, avec l'énergie que leur conférait le désespoir et la fin imminente.
Lui était à l'agonie, couvert des blessures d'une guerre menée contre lui-même, elle était déjà morte.
Et pourtant ils s'aimaient, comme deux guerriers Maasaï.

CrocodileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant