Chapitre 9

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Les garçons étaient assemblés autour de la lampe torche, dans le vieux bâtiment qu'ils avaient pour habitude de squatter, et se passaient un joint sur fond de vin rock des Ratoons.

    - Tu sens toujours rien ? demanda Chelsea.

    - Nada.

Seth était assis dans un coin et accordait sa guitare acoustique, sans paraître dérangé le moins du monde par le son brouillon et entraînant que diffusait le baffle.

    - Sérieux, tu te sens pas bien un peu ? Bon je sais que c'est pas génial mais c'est pas... de la merde non plus ! À moins que BRAEDEN M'AIT REFILÉ DE LA DAUBE ?

Il avait crié les derniers mots pour être sûr de se faire entendre par le dealer, qui se tenait assis un peu plus loin.

    - Tu fais chier Chelsea, je t'ai pas vendu de la merde !

Habituellement, Braeden ne dormait pas dans l'immeuble abandonné, pas plus qu'il ne faisait le trottoir. Mais aujourd'hui, il restait un peu avec le groupe avant de retourner sur Hollywood Boulevard.

Occupé à rouler une cigarette, il demanda :

    - Y vient d'où, ton pote ?

    - D'Afrique du Sud, répondit Seth en levant les yeux de sa guitare.

    - Ah ben tu m'étonnes que tu sens que dalle...

    - Y a de la bonne herbe en Afrique du Sud ? demanda Jena en s'asseyant.

    - Askip. Tu confirmes ?

Seth sourit et haussa les épaules.

    - Meilleure qu'ici en tout cas.

    - Scuse-nous...

Le guitariste prit le paquet sans étiquette de Chelsea et en sortit une longue cigarette qu'il porta à sa bouche.

    - Bordel non, Seth, remets ça tout de suite.

    - Trop tard, rétorqua le Sud-Africain en allumant le bout.

Chelsea soupira.

    - T'es pire qu'un assisté, tu sais ça ? Serait vraiment tant que t'apprennes à te démerder tout seul.

    - Je ferai pas le trottoir, asséna aussitôt Seth.

Jena ironisa :

    - Attention, Mr trouve ça dégradant.

    - Rien à voir. Si j'avais peur pour l'image chérie, je ne traînerais pas avec toi.

    - Va te faire foutre Banner.

    - Non mais ce sont toujours des gros quinquagénaires qui embarquent Chelsea, et puis t'as le récit détaillé de leurs fantasmes sado masochistes... Je te jure que ça donne pas envie.

Chelsea choisit d'intervenir en coupant l'herbe sous le pied de Jena :

- C'est pas pour te dégoûter que je te raconte, p'tit gars, c'est pour te donner des tuyaux pour quand tu seras irrémédiablement obligé de t'y mettre...

- Attention, marmonna Jena.

- Tu sais, plus les gens sont dégueulasses, vieux et croulants, plus ils sont faibles, et plus tu dois leur faire croire qu'ils sont encore sexy et désirables, tu me suis ?

Seth hocha la tête avec un sourire amusé.

- Tu vois genre, faut te coller à eux, les caresser en leur disant à quel point t'as envie d'eux, même si c'est pas vrai. Faut pas que t'hésites à utiliser tes mains, et ta langue.

- Merci Chelsea ! gueula Braeden.

Visiblement, il entendait très bien de là où il était.

- Tu vois, au fond, les gens ont besoin que tu les rassures. Et si tu le fais bien, tu pourras enfin payer tes putain de clopes.

- Super, le coupa Braeden. Bon l'Africain, joue nous un truc avant qu'il reparte.

Nelly coupa le baffle, et Seth posa ses doigts sur les cordes.

- Vous voulez quoi ?

- Ce que tu peux jouer.

- Je peux tout jouer, lança-t-il avec un sourire de défi.

- Ok, lâcha Jena. Alors Oh Boy, de Myria.

- Facile.

Seth gratta les premiers cordes d'une main habituée.

🚬🚬🚬

- Tu sais, quand j'y repense, j'ai jamais pu m'imaginer vieillir. Je veux dire, même adolescent, je ne me voyais pas adulte. Pour moi, adulte voulait dire routine, responsabilités, stabilité. C'est en partie pour fuir ça que j'ai débarqué aux USA. Je m'imaginais vivre ma vie comme je l'entendais, jouer sur scène et m'éclater, puis me réveiller en étant bien mal, puis recommencer. Et puis mourir jeune, à quelque chose comme 27 ans, l'année maudite. Je voulais devenir une légende, je pensais que je pourrais vivre éternellement si les gens se souvenaient de moi. Mais c'est pas comme ça que ça marche. Quand tu meurs, tout s'en va, les sentiments, les émotions, les souvenirs... Tout ça les gens ne peuvent pas le retenir, et ça disparaît avec toi. Tu ne seras plus là pour voir dans cinquante ans si l'on se souvient encore de ton nom, alors pourquoi sommes-nous tous obsédés par l'idée de laisser une trace ?

Angie répondit sans hésitation, la tête posée sur son torse osseux.

- C'est ce qui fait de nous des humains.

CrocodileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant