F comme Feodor

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Auparavant, son nom m'aurait rien dit. Mais après son speech, les lycéens s'étaient soudainement intéressés à mon association et Aurora Vicoult resta subitement gravée dans ma mémoire.

Elle n'était pas magnifique en soi. Violette ressemblait presque à Miss Monde à côté d'elle mais cette Aurora dégageait des ondes positives et avait l'air d'être une chouette fille.

- Feodor, c'est la catastrophe. Lança ma petite-amie en jouant avec une de ses mèches prune.

Je haussai un sourcil, surpris. Que se passait-il donc ?

- C'est Giana, elle vient de m'envoyer un message. Calixte est dévastée. C'est horrible Feo', Horace s'est barré d'ici. Lança-t-elle en hoquetant.

Mes sourcils se froncèrent. Je ne connaissais pas vraiment cet Horace dont on parlait tant. Calixte était proche de lui d'après ce qu'on me disait à longueur de journée. Je ne traînais pas non plus avec elle de toute façon.

- Il reviendra. Répondis-je avec évidence.

Elle rit, les yeux plissés. Son rire inspirait le malaise voire la nervosité.

- Oh non, toi ça se voit que tu ne connais absolument pas Horace. Mais bon, je ne suis pas la mieux placée pour répliquer un truc cinglant. Au fond, moi et Horace on n'a jamais vraiment pu se piffrer.

- C'est Calixte le problème hein ? Interrogeai-je soucieux.

Elle chuchota :

- Non, c'est Emeraude, je dois la prévenir. Et aujourd'hui c'est son anniv'.

Violette adorait Emeraude, s'en était presque son idole. Mais cette fille n'avait rien de spécial comparée à ma jolie Violette. Elles restaient tout de même meilleures amies.

La veille, Violette était restée chez moi voir un film français. Elle mangeait ses popcorns et laissait des miettes sur mon t-shirt pendant tout le long. Au final elle s'était endormie dans mes bras, l'air rêveuse. Je l'avais prise en photo secrètement avant de la laisser ronfler dans mon lit. J'avais éteint la télé et m'étais couché dans mon second matelas installé au sol. Notre relation avait encore des limites et je savais pertinemment que les respecter restait la meilleure décision à prendre.

- Tu vas chez Giana tout à l'heure ? Demandai-je d'une voix posée.

Elle hocha vaguement la tête. Puis d'un air indécis, s'approcha maladroitement et posa ses lèvres douces sur les miennes. J'étais dingue d'elle, clairement. Notre histoire ressemblait à un amour banal adolescent mais étrangement sereine et agréable.

Ça avait débuté d'une anecdote peu fantastique. Violette portait un débardeur bleu pastel ce jour-là. Il faisait assez chaud dans mon quartier et lorsqu'elle avait déboulé dans ma maison avec ses parents et ce haut décolleté et moulant, je n'avais pas pu résister, j'avais carrément flirté. C'était la première fois que je draguais quelqu'un et à ma grande surprise, elle avait l'air de bien m'apprécier. Je la complimentais sur ses jolis yeux, ses cheveux caramel soyeux. Mes parents et ses parents s'étaient rencontrés dans un musée devant une œuvre d'un artiste médiocre. Ils devinrent rapidement amis et commencèrent donc à s'inviter à dîner. Et ce soir-là, voir monsieur et madame Bruke accompagnée d'une si jolie demoiselle était pour moi une illumination, une chance inouïe.

- Viens on y va tout de suite. Proposa-t-elle en collant nos fronts.

Je me levai, tirant délicatement son bras et posai ma main sur sa taille.

***

La maison de la famille Vicoult ressemblait drôlement à celle de ma tante qui habitait dans une ville paumée dans le Nevada.

La peinture fraîche dégoulinait encore et les parents Vicoult nous saluèrent en nous laissant entrer dans leur baraque.

Et là, je la vis, les écouteurs dans les oreilles, chantant à tue-tête une chanson sortie clairement d'un boysband. Aurora me remarqua elle aussi et lâcha immédiatement son portable. La demoiselle rougit de plus belle et ne me quitta point des yeux alors que l'on s'éloignait discrètement. Violette la salua cependant et suivant son modèle, je fis de même.

La chambre de Giana empestait la clope. Elle fumait une petite roulée. Elle nous désigna deux chaises. Violette s'allongea directement dans le lit, me laissant seul sur un siège en bois inconfortable.

- C'est la merde, Calixte va archi mal. Commença Giana la voix rauque.

Violette soupira puis me demanda poliment de sortir de la chambre. Je grognai en me soumettant à ces ordres.

Le couloir avait été aussi refait, le parquet semblait avoir littéralement été posé la veille et les cadres, installés le jour-même. Le contraste entre la chambre de Giana, bohème et orientale et le reste de la maison sorti tout droit d'un magasine de déco était incroyablement saisissant.

Tout dans cette maison était surfait. Comme presque toutes celles du quartier.

- Hé ! Lançai-je en voyant Aurora peinant à fermer la porte d'une pièce.

Je m'enfonçai davantage dans la maison et tombai face à un temple de posters.

- Je voulais te remercier pour la dernière fois... C'était très gentil de me citer dans ton discours. C'est vraiment dommage que t'aies perdu... En tout cas, j'avais voté pour toi. Remerciai-je bêtement avec un sourire gêné.

Ses oreilles tournèrent au rouge. Elle bredouilla une dizaine de fois des mots incompréhensibles.

- J'a-a-dore ce... ce que tu... tu fais... Fe-Feo...

- Feodor, complétai-je en frottant ma nuque avec ma main.

Elle inspira longuement de l'air et lâcha hésitante:

- Oui Feodor... Je-je... Hum... On s'était déjà croisé dans la rue.

Je fronçai les sourcils, à la recherche d'une quelconque image pouvant illustrer son souvenir. Mais rien ne vint. L'image d'une fille à frange passant devant moi au coin d'un boulevard n'avait pas l'air de resurgir de ma mémoire et c'était désolant car son petit sourire se transforma en une mine dépitée. Elle me demanda de sortir de sa chambre en s'excusant poliment et ferma sa porte.

J'attendis Violette dehors, assis dans ma voiture.

AlphabetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant