G comme Giana

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C'était officiel, je sortais de nouveau avec un gars. Il fallait juste que j'arrête de le confondre avec Ulysse. O-T-E-L-L-O, prénom du mec qui avait réussi à me faire céder à ses caprices amoureux.

Franchement, je regrettais, à quoi bon essayer une relation avec un gars comme ce serveur dans un resto les dimanches soirs alors que mon cœur battait toujours pour ce connard d'Ulysse.

« Arrête de te lamenter, regarde Calixte, elle stagne dans la friendzone, alors il faut que tu profites du fait que tu sois de nouveau casée. » Dis-je à moi-même en écrivant sur mon journal. C'était une remarque écrite avec mon stylo violet, sur la droite de ma page.

Je faisais partie de ces personnes qui tenaient des journaux intimes. Rien de très excitant, malgré la grosse pile de cahiers à reliures achetés à partir de mes 12 ans me permettant de raconter sur papier ma vie pourrie. Un par année.

Hier, en ouvrant une page de mon cinquième journal intime, j'étais tombée sur un passage horrible. C'était quand je m'étais mise en couple avec ce trouduc'. Je lisais à cœur serré mes mots remplis d'espoir à son sujet et les dessins que je faisais de lui sur le côté. Il avait encore une mèche à cette époque.

Mon cœur se serra. Y repenser me faisait atrocement mal.

« J'ai l'impression qu'à chaque fois que je le vois, mes poumons deviennent inutilisables, mes clopes s'enchaînent devant lui et il ne dit rien. Ce crevard sait pourtant que j'ai commencé à fumer à cause de lui, pour lui prouver que je passais à autre chose. Foutaises, le U-L-Y-S-S-E habituel restait gravé dans ma mémoire. C'était tellement cool avant, quand toute cette histoire de réels sentiments n'avait pas débuté. Je suis tombée dans un trou béant, le pire piège au monde et il n'a pas sauté dedans. Il est encore sur le bord du trou, à me regarder me noyer dans les vagues de sentiments. Je l'aime passionnément et il ne me sauve même pas. J'ai mal bordel, tellement mal. »

Les mots glissaient sur la page sans que je ne me force. Je soupirai en voyant l'heure, je devais impérativement sortir de ma chambre pour éviter une heure de colle avec mes trois retards d'affilé. Un quatrième pousserait sûrement le directeur à bout.

Je pris mon sac et me vêtis de ma veste en cuir. Sortie de la maison, je sautai dans ma petite Fiat avant de conduire, comme une droguée en manque, vers le bahut.

Le parking était assez vaste, je n'arrivais pas à trouver la voiture de Calixte du regard. Elle n'allait pas bien ces temps-ci et enchaînait clopes après clopes. Il lui manquait. Horace était vraiment naze de l'avoir abandonnée ainsi, sans aucun scrupule.

- Hé Giana ! Cria quelqu'un derrière moi.

Je reconnus Bacchus, le bras levé, me saluant généreusement. Qu'est-ce que ce tocard me voulait bon sang ?

- Tu pourrais rendre ce livre de physique à Calixte, elle ne veut pas le récupérer. J'ai l'impression qu'elle veut me tuer dès que j'approche d'elle. Essaya-t-il en me tendant un énorme bouquin plastifié de 500 pages.

Je remuai la tête.

- C'est mort. Répliquai-je sèchement en regardant autour de nous.

Je croisai les doigts pour ne pas voir Ulysse arriver, je mimerais fumer une clope, ferais ma maligne et regretterais dès qu'il serait parti. Je le détestais pour ça, me contrôler ainsi, même sans le faire exprès.

- Okay no problemo, j'ai essayé au moins. J'aimerais te parler d'un truc sérieux sinon. Commença-t-il d'un air soucieux en rangeant son livre.

Je fronçai les sourcils, crispée. Bacchus me connaissait, je le considérais même comme un meilleur ami pendant une période dépassée. J'avais 14-15 ans et on passait du temps ensemble. Puis il rencontra Ulysse et Xiao, et je l'avais lâché pour Violette et Calixte.

- Quoi ? Marmonnai-je durement appréhendant sa réponse.

Sa main se posa sur mon épaule et ses yeux tristes ne me dirent rien qui vaille.

- Écoute Giana. Je te connais à peu près et je sais que tu l'aimes encore. J'ai vu aussi que t'avais officialisé ta relation avec ce frimeur d'Otello sur Facebook. À quoi tu joues bon sang ? Tu n'as juste qu'à aller le voir et lui dire que tu regrettes d'avoir rompu il y a un an.

Il inspira longuement.

- Ce qui s'est passé l'année dernière restera toujours gravé dans sa mémoire tu sais ? Mais il passe à autre chose, il a l'impression que tu ne t'intéresses plus à lui. Il commence à avoir des vues sur une certaine Thaïs. Je le connais Giana et il regrette infiniment tout ce qu'il avait dit lorsque vous avez rompu. Les coups bas qu'il t'avait sortis ne lui ressemblent même pas. Crois-moi Gia', faut que tu t'accroches à l'idée que rien n'est encore perdu. Arrête de jouer ton jeu de fille inaccessible avec ses clopes horribles, il n'aime pas. Uly' n'a plus l'impression de te connaître. Il déteste cette nouvelle personne. Finit-il de but en blanc.

Mes larmes avaient envie de couler, mais je me retins. Ne pas paraître faible, garder la tête haute, et jouer la peste. Je ne devais surtout pas quitter ce personnage, redevenir moi-même me rendait faible aux yeux de tous. J'étais la peste royale du lycée, tout le monde le savait. Il ne fallait pas pas jouer les cœurs d'artichauts, m'ordonnai-je.

- Qu'il aille se faire foutre avec sa Thaïs. Où est le problème à changer et devenir moi-même ? Je ne l'aime plus de toute façon. Je vais être en retard, casse-toi. Répondis-je en me retournant, avalant avec peine ma tristesse.

Bacchus rit nerveusement puis part en levant les yeux au ciel. J'avais envie de lui donner un énorme coup. J'aperçus la voiture de ma meilleure amie à quelques places de ma position. Je me dirigeai vers elle les poings serrés.

- Salut ma belle. Tentai-je en contrôlant ma voix.

Ses yeux rouges me firent mal. D'abord tétanisée, elle sortit de sa voiture tel un robot.

- Encore à propos d'Ulysse n'est-ce pas ? Lança-t-elle en me lançant un regard méfiant.

J'hochai désespérément la tête et elle vint se serrer dans mes bras. Jouer un rôle avec tout le monde restait faisable, mais face à Calixte, c'était impossible. Pourquoi ? Parce qu'elle en jouait un aussi et quelque fois porter des masques avec la mauvaise personne ressemblait à la plus grosse bêtise qui soit.

- Bacchus m'a dit que ce cinglé était sur une certaine Thaïs. J'ai envie de chialer. Bredouillai-je dans ses bras.

- Thaïs, genre Thaïs de 11th grade ? Demanda-t-elle incrédule.

Nous nous desserrâmes et avançâmes vers la porte d'entrée. Dans la cour, elle sortit une bouteille d'eau de son sac.

- Prête pour paraître archi peste ? Annonça-t-elle de façon rhétorique.

Devant nous, marchait un petit groupe de filles mignonnes. Calixte s'approcha d'une et je la suivis de près. Elle me désigna l'une d'elles, je compris que ce n'était autre que la « Thaïs de 11th grade ».

La bouteille d'eau coincée dans ma main, je la saluai gentiment :

- Salut toi, c'est Thaïs nan ?

Je versai l'eau dans sa tronche avant de reculer, légèrement coupable. Mais je ne devais surtout pas arrêter de jouer mon rôle ou m'excuser.

- Oh oups. Fais gaffe la prochaine fois, ne t'approche plus jamais d'Ulysse. Grondai-je sous les hoquets de surprise de ses toutous.

Et on s'en alla. Calixte avait ce petit sourire malicieux qu'elle arborait pour se défouler.

J'étais jalouse à en crever mais jouer la méchante dans cette situation ridicule me réussissait.

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