Q comme Quentin

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Quelques fois, on tombe sur la mauvaise personne. Mon faux-jumeau Yann était tombé sur la mauvaise petite-amie. Le scandale de la démission de Rio avait propagé une vague de rumeurs au sujet de leur couple tordu. Rien n'allait déjà, avant que cela ne s'empire.

Horace était revenu. Pas par sa propre volonté mais menotté dans une voiture de flics d'une ville dont personne ne connaissait le nom.

Je n'étais pas un très bon frère mais sentais lorsque Yann tombait dans le trou béant du désespoir. Il était au plus mal. La fuite de son supposé faux-amant lui avait fait un bien fou de l'extérieur pour son image mais le soir, au moment où je finissais mes équations et que je le voyais au bord des larmes sur notre lit superposé : il était ravagé.

Yann ne pouvait pas perdre Rio, au risque de tout perdre de son côté. Elle tenait en main ses plus grands secrets, ses plus grands péchés et le seul moyen de le contrôler. Ils ne s'aimaient pas comme les autres. Mais tous les deux représentaient mutuellement leur refuge.

- Hé, papa a préparé à manger. Débutai-je en toquant à la porte.

La main droite dans la poche, les yeux inquiets, je traversai la chambre à petits pas. Le bouclé se tenait devant la fenêtre ouverte, observant chaque nuage et le ciel dénudé d'étoiles.

- Tu vas attraper froid, la météo avait annoncé un orage ce soir. Informai-je avec un petit sourire.

Yann se tourna enfin vers moi, les yeux vitreux, encore plus perdu.

- Je peux te parler de choses problématiques Quentin ? Questionna-t-il en s'asseyant sur le lit du bas.

Le postérieur posé sur la chaise du bureau, je fixai son teint pâle et ses cheveux désordonnés.

- Je suis ton frangin, on est censé s'entraider. Dis-moi tout. Répliquai-je en essayant péniblement de bien doser mes mots.

Une maladresse et il se refermerait sur lui-même.

- J'ai peur de la croiser puis de le croiser. Je flippe comme quand on était gosse devant les clowns du cirque. Avoua-t-il la tête baissée.

J'aurais voulu continuer sur cette lancée, coupé net sa peur pour la transformer en apaisement. Cependant, la voix de notre père derrière la porte nous ramena tous deux à la réalité. Le diner était prêt.

Nous sortîmes de la chambre sans broncher, dans un silence quasi-complet. L'ambiance générale n'était pas la meilleure.

- Votre mère m'a appelée. On divorce pour de bon. Annonça mon père de but en blanc.

Cette nouvelle finit par l'achever. Yann posa sa fourchette au milieu d'une bouchée, les mains tremblotantes, il observa la scène.

- Et je compte bien vous envoyer à l'armée pour vous faire devenir de vrais hommes. Poursuivit-il en entamant une généreuse portion de poulet.

Mon père avait choisi le pire moment. Yann était vulnérable et j'étais profondément dans le déni de toutes situations plausibles pour me concentrer sur des annonces si foireuses.

- Va crever. Lâcha Yann les dents serrées.

Mon père se leva, prêt à foutre une baffe grandiose. Lui aussi n'était pas d'humeur à entendre les mots crus de son fils aîné. Mon frère partit sans rien ajouter, les jambes flageolantes. Quelques minutes plus tard, ce fut le bruit infernal de la porte d'entrée claquée qui retentit.

- Mange papa, ne fais pas attention à lui. Tentai-je en essayant d'apaiser ma figure paternelle.

Ma famille venait de se briser sous mes yeux ébahis et pourtant, ma réaction était la même. Une sorte de mélange de confusion et d'impression d'irréel. Je ressentais à peine la douleur. Maman qui se cassait vivre avec un inconnu, papa qui devenait de plus en plus con et violent, Yann qui était à deux pas du gouffre. Puis il y avait dans l'ombre, Quentin, moi-même. Cet adolescent vide de sentiments qui voulait tout arranger mais se prenait tout dans la face sans le vouloir.

J'étais le garçon du second plan, celui avec des problèmes mineurs indirects. Il n'y avait rien d'intéressant ni de particulier dans cette existence pourrie.

Je finis ma purée, sortis de table, fis la vaisselle et m'allongeai finalement sur mon lit. Le tonnerre grondait si fort ce soir-là, quand maman est partie, j'avais l'impression qu'il se déchaînait autant que mon cœur instable.

Le portable au creux de mon oreille, je l'appelai.

- Nausicaa, t'es là ? Commençai-je attristé.

Sa voix résonna dans mon oreille comme si rien n'était arrivé entre nous, comme si rien de grave s'était passé durant ces longues années de relation.

- Tu es censée être ma petite-amie. Tu pourrais au moins venir prendre de mes nouvelles comme je le fais moi. Reprochai-je en soupirant.

Son rire harmonieux emplit chaque fibre de mon corps disloqué. Elle me manquait mais nous nous étions quelque peu éloignés.

- Quentin... Ne te fais pas de film. On ne sort pas ensemble, on a traîné ensemble pendant quatre ans, ça ne fait pas réellement de moi ta petite-amie. Ce n'est même pas officiel. Je suis le genre de fille à aimer la liberté tu vois ? Se justifia-t-elle.

Je fermai les yeux.

- Parle-moi de toi. Raconte-moi une de tes fourberies. Ajoutai-je en ignorant le fait qu'elle venait de me recaler.

Nous sortions ensemble depuis quatre ans. Elle le savait aussi bien que moi, seulement, Nausicaa était le genre de nana à vouloir avoir une liberté totale.

- Alors... Avec Maïa, on a monté un plan foireux qui a marché pour piéger Otello pour que Rio démissionne. Je te raconterai à la fête de Swan, c'est dans une heure après tout. Termina-t-elle avant de raccrocher.

Je me levai, m'habillai et partis machinalement vers la baraque où se déroulait la fête. Cette soirée, c'était la fête des vérités, comme Swan aimait si bien la nommer.

AlphabetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant