R comme Rio

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Chaque cicatrice de mon poignet avait son bracelet, turquoise, rose, noir, violet. Toutes les couleurs possibles pour cacher mon imperfection.

- Tu viens chez Swan ce soir ? Lança Dante au pas de ma porte.

Son sourire arrogant me poussa à faire un terrible soupir.

- Ne m'énerve pas Dante, va baiser avec Iris à la place de m'énerver. Répondis-je en levant les yeux au ciel.

En dehors des murs de ma chambre, je devais devenir la Rio que tout le monde connaissait. Celle qui avait le sang-froid qu'on admirait, le sourire éclatant qu'on jalousait et la recette de cookie qu'on enviait.

Assise sur mon lit, je pouvais enfin redevenir moi-même. Plus de voix mielleuse ou de yeux pétillants. Juste une fille avec des cicatrices trop grandes et des larmes trop nombreuses. Je souffrais en silence, étouffée dans mes draps, le cœur plongé dans un tout autre monde.

J'avais démissionné. Ma fierté en avait pris un si gros coup, l'image de moi s'était brisée en mille morceaux. Mon beau-père ne m'acceptait plus comme fille. Il ne me restait plus qu'un petit-ami au bord de la rupture et d'une meilleure amie qui ne savait rien de qui j'étais vraiment.

Yann apparut à ma fenêtre. Il m'avait prévenu qu'il allait passer ce soir.

Je lui ouvris avec difficulté, en essayant de ne pas le faire tomber ou de lui écraser les doigts. Il avait l'air d'avoir une aussi mauvaise mine que moi.

Je savais que falsifier les bulletins de votes était une mauvaise idée, mais perdre était un tel affront que j'aurais sûrement été reniée de cette famille de diplomates de la haute société. Avant ma mère ne m'apportait aucune attention particulière, ce fut seulement après son mariage qu'elle me prit pour un tas de déchets qu'elle voulait à tout prix redorer.

Pour cela, j'avais besoin d'un petit-ami parfait, d'une amie supposée inférieure, d'une carrière toute tracée et une beauté inhumaine. Tout ce que je n'avais jamais voulu être et avoir.

- Yann... Commençai-je d'une petite voix alors qu'il scrutait tristement mes plaies.

Il m'embrassa. C'était un baiser douloureux, long et signe d'un reste d'amour présent dans son cœur. Horace était revenu, je ne m'étais pas faite énormément d'illusions, il ne me choisirait pas deux fois, mon petit-ami allait sûrement vouloir le retrouver.

Je pleurais, laissais couler mes larmes perdues, déçue par ma pitoyable existence de poupée conditionnée. Je ne savais pas comment Dante faisait pour exceller en tout, être la pépite d'or des yeux de mes parents, me voler ma place d'enfant à ma mère. Mon beau-frère était la seule personne à admirer dans ce paysage massacré, un gars honnête avec lui-même qui réussissait.

- Est-ce que tu m'aimes ?

Cette question était sortie de ma bouche sans le vouloir. J'aurais souhaiter la lui poser dans d'autres conditions, dans un moment plus propice. Pourtant ce fut avec deux entailles au poignet ouvertes quelques minutes auparavant, le mascara waterproof qui n'avait nullement tenu et les joues creuses que je lui posais cette question fatidique. Nous n'étions que tous les deux, yeux dans les yeux, assis sur mes draps souillés de sang.

- Oui je t'aime.

Sa réponse aurait pu passer pour la plus belle qui soit si je ne le connaissais pas tant que ça. Malgré tout, je connaissais Yann Stanivost plus que quiconque. J'avais peut-être eu un mauvais rôle à jouer, mais avais eu la chance d'avoir le bon copain à côtoyer. Tomber amoureuse d'une personne semblait impensable pour des personnes en crise qui ne savent même plus qui elles sont réellement. J'avais quand même réussi à l'aimer.

- Je sais qu'il y a un « mais » et que tu l'aimes encore.

Ma réplique paraissait si troublée et si fastidieuse. Nous tremblions à l'unisson, sentions le pire arriver.

- Je n'ai pas envie de me séparer de toi Rio. Tu es le coin de paradis qui me permet de prendre un peu d'air, de me sentir moins seul dans cet univers. On est fait l'un pour l'autre. Horace n'aurait même pas dû rentrer dans l'équation.

Ses mots me touchèrent droit au cœur, comme une caresse après une preuve d'amour.

- On n'est que des adolescents Yann. On a le droit de faire des erreurs de parcours. Tu n'aurais jamais dû sortir avec moi. Tu mérites un Horace, pas une pauvre Rio. Ce garçon est fabuleux, il mérite tout ton amour. Puis arrête de te mentir à toi-même en pensant à moi. Romps avec moi cette fois-ci et on sera de l'histoire ancienne.

J'avais envie de le convaincre de prendre ses distances, de vivre comme il le voulait. Yann et Horace étaient faits l'un pour l'autre, il n'y avait qu'à les regarder pour savoir ce que voulait représenter le coup de foudre. Lorsqu'il était allé fricoter avec lui la première fois, j'avais été horriblement blessée. Aujourd'hui, le forcer à le persuader de ne pas m'abandonner me semblait presque impensable.

- Rio, si tu étais une erreur, alors toi et moi, on est victime du virus de l'amour.

Yann aimait débiter des choses un peu trop belles, un peu trop fictifs sur les bords. Je n'appréciais pas cette facette de sa personnalité, elle avait le don de tout me faire céder. Mais pas ce soir, alors que les éclairs s'abattent fictivement dans le ciel.

- Epargne-moi ça, je romps.

J'aurais pu avoir l'air crédible en le fixant avec mes yeux bruns, pourtant, j'étais dans ses bras, totalement en pleurs, les joues parsemées de gouttes salées.

C'était pire que douloureux, je venais d'abandonner la seule chose saine qui me restait. Le dernier espoir que j'aurais peut-être dû garder. Je le chassai de ma chambre en évitant son regard implorant.

- Va retrouver Horace.

Il partit. Il pleurait lui aussi. J'avais peut-être fait fuir l'amour de ma vie, mais je n'étais pas le sien. On n'était que de simples adolescents perdus après tout.

J'essuyai mes larmes, pris une profonde inspiration avant d'écrire les lettres. Je faisais peut-être un mauvais choix en voulant partir si rapidement. Mais l'envie de rester sur cette planète était tombée si bas que chaque seconde passée à respirer me tordait de douleur.

Les gens ne comprendront jamais la réelle cause de mon suicide. Ce n'était pas le fait d'être déléguée ou non, le fait d'avoir des parents terribles et une famille horrifiante, la pression d'une image parfaite de moi-même ou le sentiment de perdre tout ce que l'on aimait.

Non.

Mon décès était causé par le néant crée par l'absence d'espoir.

Je mis la chanson préférée de Yann sur mon enceinte, repensai une dernière fois aux souvenirs merveilleux de mon enfance et au refuge qu'il m'avait permis d'avoir avant de me couper une dernière fois les veines, bien trop profondément.

AlphabetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant