Histoire de deux soldats ennemis

Lettre du 18 avril 1915

Chère Anna, pardonne-moi de ce long retard pour ma réponse mais je n'avais pas le temps d'écrire. J'avais bien commencé à rédiger ma réponse mais un obus a atteint notre tranchée et ma lettre tomba à terre et fut piétinée par des soldats qui courraient. Je te rassure en te disant que ma santé est bonne. J'espère que la tienne aussi ainsi que celle de la famille. Tu me  manques plus que tout. Comme tu as sans doute pu le remarquer, je ne suis pas venu à la maison. J'ai appris juste avant mars que ma permission avait été annulée car on avait besoin de moi ici. Je m'excuse sincèrement.

Jacob a été blessé au bras par un éclat d'obus. Il a été évacué dans un hôpital. Je n'ai pas de nouvelles mais j'espère qu'il va bien. Lors du dernier bombardement allemand, je levai la tête pour voir ce qu'il se passait et sais-tu ce que j'ai vu ? J'ai vu un cheval sauter au dessus de notre tranchée et partir au galop dans le no man's land. Pauvre animal, il doit être mort à l'heure qu'il est. Dans cette guerre, il n'y a pas que les hommes qui souffrent. Barney m'a dit que les chevaux tractaient les canons à l'arrière. Pauvres bêtes. Pauvres nous. Cette guerre n'apporte rien de bon et nous n'avançons pas. Nous attaquons sans cesse pour ensuite repartir dans nos tranchées. Nous ne faisons que des sacrifices. Les supérieurs ne semblent pas voir le nombre de victimes que cette guerre fait alors que les positions ne changent pas. Comme tu me l'as annoncé dans ta lettre, les journaux disent que tout va bien. Cette propagande vulgaire insulte les soldats morts au combat. Bien sûr, je ne veux inquiéter personne mais les civils ont le droit de savoir ce qu'il se passe réellement.

Je suis fatigué et ces rats ne me laissent pas un moment de repos. De plus, les poux me grattent, c'est infernal. Nous nous grattons jusqu'au sang ici et c'est impossible de se débarrasser de ces parasites.

Le froid me gèle les mains mais je tiens bon car je pense à toi.

Je t'embrasse

Christian