Lettre du 25 février 1915

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Ma très chère Anna,

Je crois être l'homme le plus heureux en ce moment ; ma permission a été accordée pour mars. Je serai avec toi pendant une semaine. Et j'ai hâte d'y être. Dès que j'ai appris la nouvelle j'ai retrouvé mon moral et j'essaie de remonter celui de Jacob, encore dépressif. Il mange peu et parle tout autant. Il m'inquiète. J'espère qu'il ne tentera rien de stupide. Il n'a pas de famille tu  sais, il n'a personne à qui écrire. Il a juste sa marraine de guerre qu'il appelle « Sissi » mais je ne sais pas son vrai nom. Il dit que sans elle, il ne pourrait pas rester en vie. C'est dans ces moments là que je me rends compte la chance que j'ai de vous avoir. Lui, quand il rentrera, n'aura personne qui l'attend à la maison. Si bien que je projetais de l'accueillir chez nous. Tires-en un mot à ma mère. C'est un précieux ami pour moi et je tiens à lui.

Il fait toujours aussi froid et j'ai perdu une botte. J'ai du, contre mon gré, en prendre une sur un pauvre gars qui était tombé dans les barbelés. Je ne voulais pas avoir de problème alors je l'ai pris sans rien dire. Cette nuit, je me suis fait mordre par des rats. Ça m'étais déjà arrivé mais pas autant de fois. Je n'ai presque pas dormi. Il y a une semaine, nous avons lancé une attaque. Nous avons perdu beaucoup d'hommes. J'ai entendu parler le lieutenant ; environ un tiers de notre effectif. Mais je suis encore là et je combattrai jusqu'à ce que l'allemand soit chassé de chez nous. Je n'insulterais pas les soldats allemands de boches. Leurs supérieurs oui, ils doivent être comme les nôtres. Certains sont de bons gars, beaucoup d'autres pas. Ils n'obéissent qu'aux ordres après tout, comme nous. Je pense qu'ils sont comme nous, Anna. Alors pourquoi tuer nos semblables ? Pour être honnête, je commence à me poser des questions.

Ne dis rien de tout cela à la famille, je ne veux pas les inquiéter. Dis leur que je vais bien même s'il fait un peu froid. Dis-leur que je pense fort à eux et que je les embrasse.

Bien à toi, Christian


Histoire de deux soldats ennemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant