❧ Prologue ❧

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« Je voudrais mourir par curiosité. »


                                                            - George Sand





Vous êtes-vous déjà demandé quel jour vous alliez mourir ? Quelle année ? Quel jour ? Et surtout, à quelle heure ? Vous y attendrez-vous ? Vous surprendra-t-elle ou la verrez-vous arriver ? Viendra-t-elle vous arracher à la vie tôt ou très tard ? Pour ma part, je n'y ai jamais songé. Pourtant, il se pourrait très bien que cela vous arrive dans un an jour pour jour, dans un jour heure pour heure ou bien minute pour minute. Nous mourrons bien tous un jour après tout. Le temps peut accomplir bien des choses et cependant, nous ne doutons absolument pas du moment où nous allons pousser notre dernier soupir. La mort ne prévient pas, elle survient à ce qu'il paraît, et je peux le confirmer. Je regarde obstinément l'horloge et constate que chaque minute me sépare de l'heure de ma mort. Mourais-je à dix-huit heures seize ou bien la minute d'après ? Vaste question, n'est-ce pas ? Il est vrai que l'on pourrait rester à se poser cette question vingt-quatre heures durant avant de recommencer le jour suivant, mais cela serait trop ennuyeux et particulièrement morbide, non ?


    Enfin, il est vrai que ce soir-là, je ne m'attendais pas du tout à ce qui allait se produire...  


    — À demain, Elie !

    — À demain, dis-je à ma meilleure amie qui prend la direction opposée pour rejoindre son bus.


    Je ne sais pas ce que je ferais sans elle, Anna est la seule qui me comprenne vraiment et ça depuis que nous sommes petites. Je me rappelle d'un jour au jardin d'enfants, alors que nous n'avions pas plus de cinq ans, Anna m'avait défendue face à une bande de filles plus grandes que moi qui m'embêtaient et celles-ci n'avaient pas osées se frotter à mon amie qui m'avait protégée bec et ongle en les menaçant de tout raconter à leurs parents. Bien sûr, à cet âge, on croit tout. Et je dois dire que cela jouait bien en notre faveur puisqu'elle ne connaissait absolument pas les géniteurs de ces petites prétentieuses. Enfin... Il y a des choses qui n'ont pas changé puisqu'aujourd'hui, à seize ans, Anna prend toujours la peine de me sauver la mise quand j'en ai besoin. Comme par exemple quand nous arrivons en retard en cours à cause de moi ou que je n'ose pas répliquer face à des critiques comme quoi je suis trop coincée ou trop bête pour aligner deux mots devant un garçon.


    De toute façon, je me moque complètement de ce que l'on peut penser de moi puisque je ne reverrais plus jamais ces gens après le lycée. Ils peuvent donc raconter ce qu'ils veulent dans mon dos car c'est pile l'endroit où ils doivent être, derrière moi. J'aime bien cette citation, je l'ai trouvée dans le livre que mes parents m'ont acheté pour mon anniversaire. Et oui, j'aime lire, on pourrait même dire que c'est une passion. D'ailleurs, je leur demande toujours des romans fantastiques alors qu'ils insistent pour que je fasse d'autres choses de mon âge, comme sortir faire du shopping, même si cela n'arrive que quand Anna m'y traîne de force, lorsqu'elle a besoin de nouveaux vêtements. Autant dire que nous sommes très différentes, elle et moi. Je serais capable de porter une semaine d'affilée la même tenue si ma mère ne la ramassait pas pour la mettre dans la machine à laver alors qu'Anna ne supporte pas de devoir porter le même T-shirt deux jours de suite.


    Je détache le cadenas de mon vélo et monte dessus pour le trajet que j'ai à faire jusqu'à la maison. Et oui, mes parents qui ont toujours pu se libérer pour me ramener n'ont eu, ni l'un ni l'autre, la possibilité de venir me chercher aujourd'hui, donc j'ai dû ressortir ma vieille bicyclette du garage ce matin. Je replace bien mon sac à dos sur mes épaules et je dois bien dire qu'il pèse une tonne. Notre professeur d'histoire nous a, à tous, distribué une encyclopédie qui retrace tous les évènements historiques du monde, de la préhistoire à notre année -2020-, et autant dire que c'est un vrai pavé. Je commence à rouler et c'est là que quelques gouttes d'eau viennent s'échouer sur le haut de ma tête. Oh non, il va pleuvoir ! En même temps, il est assez courant qu'il pleuve en Louisiane. J'habite la ville de Bâton-Rouge, la capitale de l'État qui se trouve à plus d'une heure de route de la Nouvelle-Orléans et comme je le pressentais, une pluie battante fait rage alors que je viens à peine de quitter la rue du lycée. Les gouttes d'eau qui coulent le long de mes bras sont tièdes. Il faut que je prenne un raccourci. J'emprunte donc la route qui traverse le pont de Krick River et qui surplombe le bayou de cette rivière. Cette structure est la plus vieille de la ville et il n'est pas rare que celle-ci doive la restaurer, même si en général, personne ne passe par ce chemin, ce qui m'arrange bien.


    Je pédale rapidement tout en arrivant enfin sur la passerelle, effectivement personne n'a eu la même idée que moi et j'en suis bien contente. La pluie a mouillé mes affaires qui me collent maintenant à la peau et je n'ose même pas imaginer l'état de mes cahiers et de l'encyclopédie d'histoire. Le ciel est presque totalement noir, mais avec un peu de chance, j'arriverais avant que le soleil ne disparaisse complètement. Un bruit de moteur indiquant qu'une voiture roule vite derrière moi arrive à mes oreilles et je ne peux m'empêcher de me dire que, de toute façon, je suis du bon côté de la route et que la rambarde en métal m'évitera un éventuel écart de guidon sous la panique. Tout se passe bien, je me prépare mentalement à voir le véhicule me doubler, cependant je n'entends pas la voiture freiner. Soudain, un crissement de pneus strident me fait tourner la tête et c'est là que le choc arrive. Par réflexe, je sers de toute mes forces les poignées de frein, mais le véhicule me projète moi et mon vélo hors du pont. Je pousse un cri perçant et m'engouffre dans l'eau, mon sac sur le dos et mon guidon encore bien accroché par mes mains tétanisées.


    Le contact de mon corps avec le liquide froid me coupe la respiration, si bien que j'ouvre la bouche pour respirer, même si je ne fais qu'avaler de l'eau marécageuse. Je lève la tête et vois le ciel sombre à la surface s'éloigner petit à petit. Est-ce que je vais m'en sortir ? Mon sac à dos rempli de manuels, de cahiers et de l'encyclopédie n'aide en rien mes bras cherchant en vain à remonter. Je décide donc de l'enlever rapidement, alors que je sens l'air quitter peu à peu mes poumons. Une fois le sac de cours perdu de vue dans cet amas de saleté, j'essaye une nouvelle tentative pour remonter, seulement cette fois-ci, c'est mon pied qui est coincé. Je tire de toutes mes forces dessus, ce qui m'arrache un cri de douleur, étouffé par les quelques bulles d'air qui abandonnent définitivement mon corps. Ma cheville est emmêlée dans la chaîne d'engrenage de mon vélo. Je me recroqueville pour pouvoir atteindre le noeud, mais impossible de voir quoique ce soit, l'eau est trouble. Mon ascension vers les profondeurs semble interminable, pourtant je continue de tirer sur mon articulation probablement cassée. L'air me manque tellement. Je l'imagine emplir mes narines et combler l'espace vide de ma cage thoracique, au lieu de quoi il est remplacé par l'eau glaciale et sale de Krick River. Mes mouvements se font de plus en plus lents et j'ai atrocement froid. Mon nez et ma gorge me brûlent atrocement tandis que j'ai l'impression que mon cerveau va exploser. L'air m'est vital et je lutte désespérément avec le peu d'espoir qu'il me reste d'un jour retrouver de l'oxygène.Ne pouvant l'atteindre, j'ouvre la bouche, laissant maintenant le libre accès au liquide infecte qui s'infiltre rapidement dans mes poumons et remplit ma trachée. Mes yeux, désormais dans le vague, parcourent les ténèbres du regard. Mon corps est secoué de soubresauts incontrôlables tandis que mes poumons sont complètement inondés...


    Je pense à mes parents qui ne verront plus jamais leur fille qu'ils ont laissée ce matin. Je pense à Anna qui se demandera sûrement pourquoi je suis absente alors que je n'ai jamais manqué un jour d'école... J'attends la mort et contrairement à ce que je pensais, je ne la sens même pas m'emporter.






Voilà le prologue de ma nouvelle histoire "Contre le temps : 20's".  Qu'en pensez-vous ? Laissez-moi des commentaires et/ou voter pour ce chapitre si vous avez aimé. À LA PROCHAINE...


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Contre le temps : 20'sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant