Prologue

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Sophie regardait inlassablement les milliers de flocons de neige tomber devant ses yeux. Le froid lui mordait la peau, comme des crocs de vampires fichés dans sa chair, mais elle ne le sentait plus. Tout glissait sur elle sans vraiment l'atteindre : le bruit du vent, la bise gelée, l'image des flocons scintillants. Il lui semblait que le monde s'était arrêté de bouger depuis qu'elle savait.

D'ailleurs, la jeune femme n'arrivait pas à réellement démêler les différents sentiments qui l'assaillaient en cet instant. De la joie, bien sûr, de savoir que peut-être tout allait pouvoir recommencer comme avant. De la peur, parce que tout pourrait avoir changé avec le temps. De l'appréhension, de l'angoisse, de l'envie, du... désir ? Oui, après tout, il devait avoir bien changé. Elle revoyait d'ici ses yeux bruns taquins, ses mèches folles, ses joues et ses lèvres remplies par la jeunesse et la malice, sa peau laiteuse et ses vêtements sans cesse froissés. Elle se souvenait de chacun de ses traits, jusqu'aux légères plissures qui se formaient sur son front lorsqu'il lisait un livre un peu trop compliqué à comprendre pour son jeune âge, jusqu'aux minuscules ridules qui naissaient au creux de ses lèvres lorsqu'il était contrarié, jusqu'à l'infime mouvement que faisait son petit nez en trompette lorsqu'il riait. Elle pouvait tout revoir, simplement en fermant les yeux, mais maintenant elle devait accepter l'idée que tout ceci allait changer. Il serait grand, certainement plus imposant, plus fort, plus séduisant. Peut-être serait-il laid ? Non, bien sûr que non. Elle ne pouvait le concevoir que comme un être un peu au-dessus des autres, un peu extraordinaire de par son intelligence, sa bonté et sa ruse.

Il était tout ce à quoi elle avait rêvé pendant des années, ce à quoi elle s'était raccrochée durant ces durs moments où elle sentait le fouet d'abattre sur sa douce peau d'enfant, ce à quoi elle avait prié lors des soirées un peu trop longues ou trop froides. Et dans deux jours, deux minuscules jours, il serait à portée de main, juste là, sous son regard qui, elle en était sûre, serait brûlant de le découvrir à nouveau. Comme elle avait hâte de découvrir tout de celui qui l'avait laissée sans un mot, sans une caresse, alors qu'elle n'avait qu'une dizaine d'années. Jamais il n'avait quitté son esprit, et aujourd'hui il revenait dans son monde sans réellement prévenir.

Sophie souffla fortement par ses délicates petites narines, formant un nuage de buée translucide qui s'évanouit dans l'air glacé aussi vite qu'il y était apparu. Elle répéta ce manège plusieurs fois, jusqu'à se rendre compte que, pour une fois, elle ne rêvait pas.

Dans deux jours, Paul serait là. Et c'était aussi terrifiant que merveilleux.



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