Domaine des Fleurville, 4 décembre 1862
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Les doigts fins de Bertille s'affairaient dans le dos de Sophie tandis qu'elle retenait sa respiration.
- Serrez plus fort, voyons ! pesta la jeune fille en lançant un regard courroucé à son employée de maison.
Les jointures blanchies par l'effort, la pauvre Bertille tirait de toutes ses forces sur les fins lacets blancs du corset qui enserrait - ou écrasait - le buste fin de Sophie. Celle-ci semblait avoir de plus en plus de mal à prendre son souffle à mesure que l'écartement qui subsistait entre les deux pans de l'instrument de torture se réduisait. Voyant qu'elle n'y tiendrait plus si la bonne serrait de ne serait-ce qu'un millimètre de plus, Sophie la congédia d'une voix froide :
- Ce sera tout Bertille.
- Mais Mademoiselle, n'avez-vous pas besoin que je m'occupe de vos cheveux ? osa lancer la jeune fille d'une petite voix.
Sophie la dévisagea un instant. Elle était maigre à en faire peur, et ses longs cheveux couleur paille encadraient son visage poupin à la peau plus pâle que de la nacre. Elle possédait également de grands yeux chocolat aux longs cils ourlés, et des lèvres très fines et d'un rose si clair qu'elles se confondaient presque avec sa peau. Si elle n'avait pas constamment arboré cet air maladif et désolé d'être sur terre, elle aurait pu être très jolie. Cependant, sa peur de l'inconnu était comme gravée au fond de ses prunelles brunes et l'empêchait de se révéler vraiment. Sophie en était inexplicablement irritée. Cet agacement était en plus décuplé par le port de ce corset qui l'empêchait de respirer convenablement ; cependant, pas question de ne pas en porter, puisque ce soir était jour de fête, et ce serait manquer à tous ses devoirs que de se présenter chez le baron Laroche sans être correctement vêtue.
- Je m'en sortirai très bien toute seule, Bertille, merci, Sophie coupa court à la brève conversation sans aucun état d'âme.
D'un petit pas précipité, presque effrayé, Bertille sortit de la chambre aux tentures prunes de Sophie, la tête basse. À l'instant même où la porte claqua derrière la petite domestique, la seconde porte - celle qui reliait la pièce à l'escalier de service - s'ouvrit sur Jacob. Celui-ci ne portait qu'un pantalon de velours brun surmonté d'une chemise qui jadis avait dû être blanche, mais qui désormais était jaunie par les longues heures de labeur. Ses cheveux fous se dressaient sur son crâne, devant ses grands iris turquoise, et son large sourire blanc à fossettes réchauffa instantanément le coeur de la jeune femme. Celle-ci, vêtue seulement de ses sous-vêtements, de son corset et de ses bas blancs, se sentit rougir face au regard inquisiteur du jeune homme sur ses courbes. Alors qu'elle esquissait un mouvement pour se saisir de son peignoir posé sur le dossier de la chaise attenante à sa coiffeuse, Jacob l'en empêcha d'un mot :
- Non. Ne te couvre pas, je t'en prie.
Sa voix était rauque et empreinte d'une envie non dissimulée qui fit s'empourprer Sophie un peu plus. Le jeune homme se rapprocha d'elle jusqu'à ce qu'elle puisse sentir la chaleur de son corps se répercuter partout sur le sien.
- Tu es tellement belle, lui souffla-t-il au creux de l'oreille. Si tu savais comme je suis fou à l'idée de te savoir, ce soir, au bras de tous ses hommes richement vêtus. Eux ont le droit de te toucher devant tous les autres, simplement parce qu'ils sont de bonne naissance... Ça me tue, Sophie, de te savoir si près et si loin à la fois.
Ce disant, il fit glisser ses doigts rugueux le long de l'une de ses mèches de cheveux, puis le long de son cou. Il retraça lentement le chemin formé par ses clavicules, cachées sous une peau laiteuse. Lorsqu'il posa ses lèvres à la base de son cou, Sophie laissa involontairement un soupir passer ses lèvres tremblantes. Elle sentit Jacob sourire contre sa peau, et eut envie de le gifler. Pourtant, elle était paralysée par la torture experte que lui infligeait sa bouche.
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Le Jeu De Sophie
RomanceSophie et Paul se sont aimés comme des enfants, puis Paul est parti. Sophie et Jacob se sont aimés comme des adolescents, et puis un jour tout s'est fini. Aujourd'hui Paul revient, et Sophie devra choisir qui elle pourra aimer, cette fois comme une...