Chapitre 1

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- MAMAN !

Vivement, ma mère se retourne vers moi et quand elle m'aperçoit, debout à l'entrée de la maison, pieds nus et serrant contre mon cœur le chiffon qui m'aide à dormir, elle écarquille les yeux et me hurle

- Louise retourne à l'intérieur ! Immédiatement !

Mais je n'esquisse aucun geste pour rentrer, je suis clouée sur place par le spectacle qui s'offre à moi. Tout le village est éveillé et hors de sa maison, en pleine nuit. Mon père aussi est là, il hurle des ordres en brandissant sa grosse épée, mais rien d'étrange à cela, il a son air des mauvais jours.

Entre temps, je n'ai pas vu ma mère accourir vers moi. M'attrapant fermement par le bras, elle me traine à travers la maison pour m'enfermer dans ma chambre.
En fait, ce n'est pas vraiment ma chambre à moi toute seule, je dois la partager avec mes deux grands frères, George et Philippe. Je les aime bien mais maman, elle les préfère.
Magda dit que c'est parce que je suis la plus petite et la seule fille. De mon côté, je pense que c'est parce que j'aime lire des histoires et jouer aux poupées alors que les autres filles du village aiment jouer à la guerre ou chasser le renard.

- Maman ! Maman ! Qu'est-ce qui se passe ?

- Tais-toi Louise et reste tranquille ! Pas un mot !

- Mais...mais...mais, commençais-je et dans ma voix un sanglot se fait entendre.

Je n'aime pas quand elle se fâche et elle n'aime pas quand je sanglote.
On n'aime pas les mêmes choses je pense.

En tout cas, elle semble avoir aussi entendu ma tristesse mal contenue, parce qu'aussitôt, elle me dit

- Par pitié, ne te mets pas à pleurer. Tu n'es plus un bébé, si ?!

Je fais non de la tête.
Bien sûr que non, je ne suis plus un bébé ! Alors je dois arrêter de pleurer.

- Parfait. Et maintenant tu restes ici. Tu m'entends, tu ne sors plus.

Sans rien ajouter, elle tourne les talons et claque la porte derrière elle.
Elle a peur. Ça n'arrive presque jamais, mais à chaque fois je sais.

Dès que je n'entend plus ses pas, je cours me réfugier dans mon lit.  Dans mon esprit, une question tourne en boucle : Qu'est-ce qui fait autant peur à maman ? 

- Tu ne dors donc pas ? Retentit soudain une voix de femme à l'entrée.

- Magda ! M'écriais-je surprise en sortant la tête de sous la couverture.

La vieille femme se tient là, le corps ratatiné sur lui-même, la mine fatiguée témoignant d'une trop longue vie. Mais le visage toujours souriant et rassurant. Elle est la seule personne ici à me comprendre et à m'accepter sans contrepartie aucune. Nous nous entendons bien.

- Mon petit poussin, que fais-tu donc debout à cette heure si avancée ?

- Je n'arrive plus à dormir, ils font beaucoup de bruit...qu'est-ce qui se passe ? Lui demandais-je en venant me blottir dans ses jupes, effrayée par les bruits extérieurs.

- Mon petit poussin...

- Où sont George et Philippe ?

- Ton frère Philippe est avec ton père quand à George...que dieu aie pitié de son âme, dit-elle en faisant vite le signe de croix.

- Pourquoi dis-tu ça ?

Elle met quelques secondes à me répondre, comme si elle cherchait ce qu'elle allait bien pouvoir raconter à une petite fille de dix ans. Mais je ne suis pas bête, les adultes pensent que ce qu'ils ne disent pas ne se sait jamais. Mais c'est faux, il suffit de bien les observer pour savoir quand quelque chose ne tourne pas rond.
Finalement la vieille femme baisse la tête et son regard triste croise le mien, inquiet.

- Te souviens-tu des histoires que je te racontais sur l'homme qui habitait le château sur la colline il y a longtemps ?

- Oui, l'homme qu'il ne faut pas déranger .

Elle souffle.

- Oui, c'est ça.

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Il est..., elle inspire et son regard se fait un peu plus triste, il est revenu.

Je fronce les sourcils, pas certaine de comprendre.

- Est-ce que tu veux dire que cet homme a enlevé George ?

Sa main aux doigts noueux vient se poser sur ma tête en une caresse rassurante. Mais je ne m'y trompe pas, Magda est tout sauf rassurée.

- Tu es intelligente Louise, sans doute es-tu même la petite fille la plus intelligente de ce village alors dis moi, entends-tu toujours les oiseaux chanter ?

Je réfléchis, elle a raison, ces derniers temps, la forêt est plus calme que d'habitude. Je le sais parce que hier j'ai été m'y promener. Mais maman ne le sait pas alors je ne dois pas le dire à Magda, elle risquerait d'aller lui rapporter.
Et je serais punie.

- Non, ça doit faire trois jours.

Magda hoche la tête en souriant tristement.

- C'est à cause de cet homme. Quand il est là, le temps s'arrête, la terre se meure.

- Elle meurt ? Qui sait faire ça ?

- Ma chérie, je prie pour que jamais tu n'aies à rencontrer cet homme. Plus d'un ont commis les pires crimes en son nom à cause de ses yeux, ses yeux mauves qui appellent aux pires péchés et à ses paroles qui te font tourner la tête. C'est le malin en personne.

- Mais...mais quel est son nom ? Demandais-je en tremblotant.

- Au cours de ces derniers siècles, il en a eu plusieurs mais le plus connu, celui qui fait encore trembler aujourd'hui, c'est Lucifer.

Reine de la nuit [sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant