Je l'observe. Tous les jours. A la même heure. Au même endroit. Et il ne me voit jamais. Il faut dire que j'ai appris à me camoufler mieux que personne. La première fois, je voulais l'effrayer et je ne m'étais pas assez bien cachée. Je ne referai pas cette erreur. Je ne sais pas pourquoi il revient. Je ne sais même pas pourquoi, moi, je reviens. C'est vrai, il ne me voit pas et pourtant il s'obstine. Peut-être qu'il me sent. Je n'arrive pas à décider s'il est un prédateur ou une proie. La première fois j'ai pensé qu'il était trop bruyant pour être un prédateur mais s'il était une proie il se serait déjà fait dévorer. Ne pas comprendre le comportement de cet Autre me trouble. Mes pensées s'emmêlent et je n'arrive pas à les ordonner. J'aurais presque envie de communiquer avec lui mais je ne sais pas comment. Je suis presque sûre d'être une Autre maintenant et j'ai découvert il y a longtemps que je pouvais faire des bruits différents des autres animaux et même les imiter. Mais je ne sais pas utiliser ces sons pour échanger quelque chose. Alors je continue de l'observer. Silencieuse. J'essaie de m'asseoir comme lui mais je tombe et fais bouger les branches de ma cachette. La tête de l'Autre se tourne vers moi mais je suis déjà partie.
Je sais qu'elle m'observe, je le sens. Cependant je n'arrive pas à savoir où elle est. Je suis patient, et peut-être un peu têtu, je reviens tous les jours. Cela devient un rituel secret, mystérieux, entre l'Enfant Sylvestre et moi, un vieil homme. Ce jour-là, un buisson a bougé et je l'ai vu se mettre à courir dans la même direction que l'autre fois. Je ne l'ai pas suivie. Mes vieux os ne peuvent plus se permettre ce genre d'enfantillages. Au moins, je suis sûr qu'elle est là.
Au fond, j'espère qu'un jour, nous pourrons parler et que je comprendrai comment et pourquoi elle est arrivée là. En attendant, je reste, assis en tailleur. Cet espoir que la fillette a fait renaître en moi est comme une flamme sortie des cendres de ma solitude. Cela me donne une raison de vivre. Je ne sais pas si j'arriverai à percer les secrets de l'Enfant mais elle aura au moins apporté de la joie à ma vieillesse monotone.
VOUS LISEZ
Pourquoi ? [FINI]
Short Story"L'enfer est tout entier dans ce mot : solitude" (Victor Hugo, La fin de Satan) La rencontre d'un vieil homme et d'une fillette. Merci à @Flolol2 pour sa couverture !