Elle revient me voir tous les jours. Au départ, elle tremble de peur en arrivant mais au bout de quelques jours elle n'a plus aucun problème. Quant à moi, je me fais dévorer par ma maladie. Le tuyau à oxygène et la perfusion que l'on m'a installé ont choqué mon Enfant mais je n'ai pas d'autres choix. Je me lève de plus en plus difficilement et m'essouffle d'un rien. Je continue de transmettre mon savoir pour qu'il ne soit pas perdu. J'ai peur. Peur de mourir bien sûr. Mais aussi, peur d'abandonner ma petite fille. Pourtant, dans le moments de souffrance, je me surprends à souhaiter la mort, comme si elle était une solution de facilité. Je ne pense pas que ce soit complètement faux. Il me faut maintenant plus de courage pour vivre que pour mourir.
Je le vois maigrir, je le vois pâlir. Il ferme de plus en plus les yeux et peine à les rouvrir. Je perçois sa souffrance et sa lutte contre sa maladie qui l'envahit. J'ai mal pour lui. Je le sens s'éloigner, doucement, sur ce sentier à sens unique. La flamme d'espoir qui brûle dans mon cœur faiblit sous les tonnes de cendres et les rafales de vent. Et j'écoute avec plus d'attention que jamais ce qu'il me dit. Tentant de tout retenir sachant qu'il n'aura peut-être pas l'occasion de répéter. Même si je n'admets pas la possibilité qu'il meurt je sais bien, au fond de moi, qu'il dépérit.
Les médecins ne savent plus quoi faire et moi non plus à vrai dire. Je sens la vie, liquide, s'échapper de mon corps. Je sens la mort, insidieuse, l'y remplacer. Je suis impuissant. J'ai plus mal au cœur que physiquement car je me sens, doucement, mourir. Je sais que l'Enfant le devine.
Elle est là, près de moi. C'est moi qui m'éloigne. Un froid irréel s'installe en moi. Je meurs. Le restant de vie qui restait en moi me quitte mais, avant que la dernière étincelle ne me quitte, je vois dans les yeux de l'Enfant Sylvestre qu'une lueur humaine a remplacé celle bestiale, que j'y avais vu lors de notre première rencontre. Une lueur d'amour. Et je pars, serein, car j'ai réussi. J'ai redonné son humanité à cette fillette.
Il est froid, ses yeux se voilent. Un sourire éclaire son visage blafard et soudain, il s'arrête de respirer. Je sais ce que cela veut dire pour avoir tuer de petits animaux pour me nourrir mais une partie de moi-même refuse d'y croire. Ce n'est pas possible. Pas après tout ce qu'il a fait. Je refuse catégoriquement que mon grand-père, ma seule famille, soit mort.
Je l'appelle doucement puis crie son nom, Champignon. Bien sûr, quand les infirmières me trouvent, elles ne comprennent pas pourquoi je hurle le nom d'une moisissure. Je pleure toutes les larmes de mon corps. Des gens que je ne connais pas essaient de me consoler mais je les repousse violemment. Pendant un instant, je redeviens la petite fille sauvage, l'animal, que j'étais. Je m'approche de Champignon et, pour la dernière fois, le serre dans mes bras.
Puis je m'enfuis. Je sors de l'hôpital, de la ville. Je rentre dans la maison de mon grand-père et prend son ocarina. Je cours vers la forêt jusqu'à notre sanctuaire, la clairière, et joue la seule mélodie que je connaisse, celle qui m'a envoûtée, la première fois. Je finis par m'endormir dans mes pleurs, roulée en boule sur le sol. J'ai l'impression que le monde entier s'écroule autour de moi, que le ciel m'est tombé sur la tête. Je trouve quand même la force de manger un peu. Je viens de perdre mon seul repère, mon Étoile du Berger personnelle. Je tourne et vire pendant plusieurs jours, peut-être plusieurs semaine. Âme triste errant dans la forêt. Finalement ma blessure se referme. Tout doucement mais je la laisse faire. J'ai tout mon temps.
Champignon, mon grand-père adoré, je suis prête. Je vais chercher pourquoi. Pourquoi j'ai été abandonnée ? Pourquoi je n'ai pas eu droit à une enfance heureuse ? Et c'est grâce à toi. Toi qui m'as tout donné. Ton temps, ton savoir, ton amour et ta vie. Si je ne trouve pas de réponse, je tenterai de m'intégrer de mon mieux parmi les Autres puisque c'est ce que tu voulais. J'utiliserai les livres pour continuer d'apprendre. Saches que je ne t'oublierai jamais. Après tout, tu es la seule personne à m'avoir jamais aimée. Tu as fait de moi ce que je suis maintenant, une Autre, et je te remercie de tout mon cœur.
Fin
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Pourquoi ? [FINI]
Short Story"L'enfer est tout entier dans ce mot : solitude" (Victor Hugo, La fin de Satan) La rencontre d'un vieil homme et d'une fillette. Merci à @Flolol2 pour sa couverture !