chapitre 1er

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J'ai quarante-cinq ans, je suis divorcée, depuis quelques jours seulement. Inutile de vous faire un dessin. Paul a rencontré une plus jeune, de vingt ans plus jeune pour être précise, une brune, fraîche comme les hommes les aiment. Elle a fait des études de droit, la salope. Je l'ai aperçue quelques jours avant le prononcé du divorce au bras de mon mari, enfin mon ex-mari, mais non c'était encore mon mari à l'époque. La pute. Mon sang n'a fait qu'un tour, j'ai sauté sur l'occasion pour enfin accepté la proposition de maître Legros de plumer mon mari au point où il ne voudrait plus jamais se marier avec une femme, avec cette pouffe en l'occurrence. C'était sans compter la pouffiasse. Son père était également avocat. C'est son cabinet qui défendait Paul et ils ne sont pas non plus du reste. Pour les mille cinq cents euros de pension demandée, la juge nous en avait accordés mille deux. Sans enfants à charge, ce n'était pas négligeable. Paul gagnait suffisamment bien sa vie. Il pouvait faire un effort pour toutes les années passées ensemble, sans oublier que c'était lui qui avait demandé le divorce. Mon avocat en profita pour réclamer le petit appartement que nous avions acheté il a quelques années, place de la pucelle dans le Vieux-Rouen. Grâce à tous ces arrangements, je n'aurai pas à retourner sur le marché du travail. Cela faisait quelques années que j'avais quitté ce monde-là. Je n'avais pas spécialement prévu d'y retourner. Ma dépression y était pour beaucoup. Pourquoi je déprimais ? Je voulais un enfant, juste un bébé dans mes entrailles mais elles devraient être tellement souillées qu'aucun enfant ne voulait y loger.

Petit à petit mon envie de maternité s'était transformée en obsession puis en dépression. Une dépression chronique.

Madame De Lagarde, il va falloir consulter un spécialiste, un psychiatre.

Ça va pas la tête ? Je ne suis tout de même pas folle. Tout de suite les grands mots.

Je claquai la porte du cabinet de mon médecin généraliste pour quelques semaines plus tard ouvrir celle d'un psychiatre spécialisé dans les dépressions comme la mienne. Je ne savais pas qu'il y avait autant de femmes en mal d'enfants. On se relayait dans le cabinet du Docteur Pignon. A soixante-dix euros la séance, vous vous allongiez sur le canapé gris qui dominait la pièce. Son calepin à la main, assis sur sa chaise, les jambes croisées, il ne vous disait que bonjour et au-revoir. Pour le reste, c'était à vous de faire la séance, avec à vos côtés, un paquet de mouchoirs fourni par la maison. Je repartais comme toutes les autres avec une ordonnance d'anxiolytiques pour noyer mes soucis. Un comprimé suffirait, il paraît. J'en prenais trois ou quatre dans la journée et deux pour dormir. La boîte contenait trente comprimés, devait durer un mois mais chaque semaine depuis dix ans, le Docteur Pignon m'en prescrivait une par semaine et ne me posait jamais de questions sur le nombre de comprimés que j'avalais par jour. Et moi, je changeais à chaque achat de pharmacie pour ne pas être cataloguée comme la femme qui se shootait aux anxiolytiques même si je me doutais qu'à ma tête, cela se voyait à des milliers de kilomètres.

Au début, Paul était présent, il me soutenait, me rassurait, pleurait avec moi, supportait ma douleur, la partageait. Puis petit à petit, lui a fait le deuil de la paternité et moi, moi je nourrissais toujours le désir de devenir mère. Nous nous éloignions. Je le voyais. Ô que je le voyais mais ma douleur était si forte qu'elle écrasait tout sur son passage. Mon couple allait droit dans le mur et moi, moi je continuais de sombrer. Je commençais par m'enfermer de plus en plus, par voir de moins en moins les copines, faire de moins en moins le shopping, acheter de plus en plus de joggings et de robes de chambre, me servir de plus en plus de café, puis de whisky-café, puis de whisky et encore plus de whisky.

Je me shootais à longueur de journée à coups de whisky et d'anxiolytiques. Dieu merci, je ne fumais pas. Ce n'était pas bon pour le bébé que je n'aurais jamais. Paul tentait en vain de me raisonner, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, tous les ans, et plus jamais depuis cinq ans. Il ne pouvait pas comprendre ma douleur et je ne pouvais comprendre son désarroi.

Paul acceptait de plus en plus de missions hors de Rouen et découchait au moins trois jours dans la semaine. Nous finîmes par nous éloigner définitivement et l'arrivée de Chloé, la nouvelle stagiaire du service juridique finissait définitivement d'enterrer mon couple. Je ne le sus même pas. Comment vouliez-vous que je le sache ? Je ne parlais à personne depuis très longtemps et mes rapports avec mon mari n'étaient que mécaniquement sexuels. Alors, je n'avais pas vu qu'il avait changé de parfum, qu'il s'était fait des implants capillaires, qu'il avait changé de look : passé du classique au sportswear, plus détendu. Je ne l'avais pas vu. Je n'avais pas vu qu'il avait arrêté de fumer, qu'il avait troqué ses lunettes contre des lentilles de contact, qu'il faisait de plus en plus de sport, qu'il allait de plus en plus au restaurant, qu'il découchait de plus en plus y compris certains vendredis et samedis. Je ne l'avais pas vu jusqu'à ce qu'il vide sa partie du dressing et qu'il me dise qu'il avait pris un appartement en ville pour réfléchir. Que le lendemain des déménageurs viendraient prendre quelques meubles. Je n'avais même pas la force de protester, encore moins celle de le retenir. Je n'avais rien à lui proposer en échange. Que je vais changer ? Ce n'était pas possible, je n'en avais pas la force. Cela faisait longtemps que Paul vivait avec un zombie. Il aurait été mon frère, je lui aurais conseillé de se sauver. Il le faisait enfin.

Paul avait pitié de la femme que j'étais devenue alors il me laissait le temps de faire le deuil de la maison car il fallait la vendre. Je bénéficiai de la moitié de tous les biens y compris la maison. C'était une belle maison qui perdit tout de même son charme car nous n'avions jamais pu utiliser les trois chambres prévues pour accueillir nos enfants, ceux dont nous avions rêvés quand nous étions encore jeunes et fougueux. Ceux que nous voyions courir dans nos têtes et dans les longs couloirs de la maison, qui sautaient dans leur lit et que nous nous évertuions à calmer, qui prenaient des goûters dans la cuisine, que nous amenions à l'école, à toute vitesse parce que nous n'avions pas entendu notre réveil sonner, qui faisaient des colliers de nouille à chaque fête des mères, qui nous sautaient au cou pour nous dire combien ils nous aimaient, qui faisaient toutes les choses que les parents aimaient ou détestaient mais qui donnaient l'impression d'être utiles à quelque chose. Ces enfants que nous n'aurions jamais.

Je logeais désormais dans le petit appartement de la place de la pucelle : une petite chambre, un petit salon, une petite cuisine ouverte sur la salle : tout était petit ici, comparé à la grande maison d'où je venais de partir. Quatre vingt mètres carrés tout de même. Tout était petit mais chaleureux. Il y avait de la vie dans ce quartier.

Je n'étais pas encore sortie de ma dépression mais je commençais à avoir un peu marre de cette vie entre whisky et anxiolytiques. Je commençais seulement par diminuer les doses mais j'en étais encore dépendante. Ce soir, je regarderai bien le premier épisode de la dernière saison des desperate housewives. Tout le monde l'avait déjà regardée sauf moi. Le premier épisode terminé, j'allais passer au deuxième lorsque mon ordinateur en fonction de ce que je venais de regarder, me propose d'autres séries dont cougar town.

J'arrêtai le deuxième épisode des desperate housewives pour cliquer sur le lien. C'était la fin de ma piteuse vie de quarantenaire divorcée.

À la fin du premier épisode de ma nouvelle série, je fermai l'onglet du site de streaming, ouvre un nouvel onglet et tapai « cougar » dans le moteur de recherche de google. Je me redressai, réajustai ma robe de chambre, ce que je découvris dépassait de loin mes connaissances.

CougarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant