Chapitre 9

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Je me suis connectée sur l'un de mes sites de rencontre avec une idée fixe: celle de me trouver un jeune homme à la peau d'ébène.

Je fais défiler les profils qui me sont proposés, composés majoritairement de jeunes hommes blancs. L'instant d'une seconde, je me suis sentie honteuse d'axer ma recherche sur un homme Noir. Il y a quelques mois, je n'aurai jamais pensé vouloir offrir mon corps à un Noir en particulier. Non pas parce que je suis raciste mais parce que je ne me suis jamais posé la question. D'ailleurs, il y a quelques mois, je pensais que ma vie entière était foutue, que je ne servais à rien puisque en mon sein ne pouvait grandir aucun enfant.

Je poursuis ma recherche, l'image de mon voisin voyeur en tête. Je tombe enfin sur un profil qui pourrait m'intéresser. Jeune homme, vingt-sept ans, doctorant en droit, un mètre quatre-vingt sept, peu musclé mais pas trop frêle; juste ce qu'il fallait et au surplus, Noir. Plutôt mate que Noir d'ailleurs, son nez était légèrement pointu, plus que ce que je pensais observer chez un Noir.

Comme à mon habitude, je lui envoie un message non subjectif. Il répond avec enthousiasme et nous nous donnons rendez-vous le soir même dans ma rue de rencontre préférée : la rue « eau de robec ». Je deviens petit à petit une habituée des lieux. Le patron du bar où j'ai mes habitudes, un gay assumé de quarante ans vient nous proposer à boire. J'opte pour un verre de sancerre - on ne se refait pas - et Innocent, si si si, il s'appelle Innocent choisit un coca citron. Je le traite rapidement de « petite joueuse » et il me répond de ne pas me fier aux apparences.

Moi qui étais jusque là plutôt déçue par son apparence plus frêle qu'il n'y paraisse sur les photos me dit peut-être qu'il y avait un peu d'espoir.

Nous prenons le temps de discuter. Rien ne presse et ça me permet de tâter le terrain. Il me dit qu'il vient du pays des mille collines, perché au coeur de la région de l'Afrique centrale dite des trois lacs. Il était à Rouen depuis dix-huit mois car il préparait une thèse en droit public en co-direction entre l'université de son pays en co-direction avec celle de Rouen.

Je suis agréablement surprise par son langage soutenu et la répartie dont il fait montre. On parle un peu géopolitique: il m'explique comment la France, la Belgique et bien d'autres pays occidentaux plus les chinois désormais, extrayaient depuis plusieurs décennies, les ressources naturelles des sous-sols africains pour s'enrichir et accessoirement pour le bien-être de leurs peuples, laissant les populations de ces pays africains se débattre dans l'étau des famines et de la pauvreté.

Je lui oppose que les chefs d'Etat africains étaient eux aussi responsables de la souffrance de leurs peuples, qu'on ne devait tout imputer aux occidentaux et aux chinois. Il était d'accord mais m'oppose à son tour que ces chefs ne sont pas élus mais désignés par les puissances internationales. Je lui demande alors pourquoi le peuple ne s'opposait pas, pourquoi il ne combattait pas ces gens qu'il n'avait pas choisis ? Il argue que certains avaient essayé mais leurs leaders ont été, ou assassinés, ou emprisonnés ou alors qu'ils avaient vaincu l'ennemi - le pouvoir existant - mais la « communauté internationale » n'a pas reconnu la légitimité des nouveaux Etats qu'ils ont créé.

Innocent m'explique que l'Afrique en guerre, ça arrangeait tout le monde: les vendeurs d'armes, les extracteurs de ressources naturelles, les expropriateurs des terres, les corrompus locaux, les touristes humanitaires : absolument tout le monde. Je l'écoute longuement. J'avoue que ses arguments tenaient la route. Comme toute occidentale, je compatis au destin de ces peuples mais ne me résous pas à changer ma manière de vivre d'un iota, même si ça impliquait que des africains souffrent de famine et n'aient pas accès à des soins de santé ou à l'éducation ou même à la plus simple des ressources : l'eau.

CougarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant