II. HERCULE

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━ Non, mille fois non ! s'écria une voix sur le parvis du temple d'Apollon qui fit s'envoler une colombe se remettant les plumes sur un marbre. Plutôt contracter la lèpre, la variole ou même un emprunt chez un trapéziste que de servir Eurysthée !

Alcide, pardonnez-nous, Hercule, puisqu'il nous faut désormais le nommer ainsi, Hercule donc, s'assit sur une marche et plongea son front dans ses bras.

━ Nom d'une nuit sans lune, ce n'est pas possible, il doit bien y avoir une échappatoire à cet oracle de malheur. Eurysthée est certes mon cousin, mais il me déteste ! Que vais-je bien pouvoir faire pendant tout ce temps à la cour du roi d'Argolide ? Lui masser les pieds ? Trimbaler de la caillasse ? Non, non, non !

━ Alcide ?

━ Oui ? répondit Hercule en levant la tête.

━ Alcide, c'est bien toi !

━ Thésée, mon ami !

━ Mais que fais-tu là, à te lamenter sur les marches du temple sous un cagnard pareil ?

━ Ah, Thésée, si tu savais !

━ Marchons jusqu'à la taverne plus bas, tu me raconteras en chemin.

Et le pauvre demi-dieu, bras ballants et nuque basse, entreprit de raconter son histoire à Thésée, comme il venait de s'en acquitter auprès de la Pythie.

━ Hercule ? rigola Thésée.

━ Ça va, ça va.

━ Mais dis-toi que ça aurait pu être bien pire !

━ Ah oui, et comment donc ?

━ Je ne sais pas, imagine qu'elle t'ait donné une femme ignoble à épouser !

━ Mais, réfléchit Hercule, mais c'est déjà fait !

━ Ah. Eh bien à te confisquer tous tes biens au profit des plus pauvres ?

━ Je n'ai que faire de l'or. Et de toute façon, je ne suis pas riche, je vais sans le sou. Un demi-dieu, ça se nourrit gratuitement.

━ Alors à traverser les océans du monde connu à la nage !

━ Je nage comme une loutre.

━ Je ne sais pas, à vendre ton corps !

━ Thésée !

━ Alcide !

━ Hercule !

━ Hercule...

━ Vois-tu, Thésée, j'ai bien peur de m'ennuyer là-bas, comme une femme de joie un jour de pluie. La cour de Mycènes n'est pas réputée pour son allégresse.

━ Oui, allez nous ! s'écria Thésée. Tiens, nous arrivons dans le quartier des tavernes.

Il y avait effectivement à Delphes, en descendant de l'esplanade du temple et en longeant l'artère principale comme venaient de le faire les deux compagnons, à quelques pas du marchand d'amphores Poteris et en face du tisseur Roadekos, la taverne du Raisin Saignant, établissement recommandé trois étoiles dans le guide du Muletier.

━ Allez, va pour le Raisin Saignant, soupira Hercule. J'ai grand besoin d'oublier.

La nuit fut courte pour les deux amis. Ou plutôt longue. Enfin, tout dépend si nous la considérons du point de vue d'Hypnos ou de celui du tavernier.

Car c'est avec la bourse vide et la vessie pleine qu'Hercule sortit de la taverne, ivre comme une grive, laissant à l'intérieur son compagnon Thésée cuver le bon vin de Delphes.

━ Allons... Hercule. Hercule, Hercule, Hercule. Her-cule. Hercule. Nom de mon paternel, je ne me ferai jamais à ce nom ! Et cette tête qui résonne... J'ai l'impression que mes cheveux poussent dans l'autre sens. Allons bon, il est temps de se mettre en route pour l'Argolide. Adieu, Liberté, adieu Joie ! Tiens, bonjour Morosité. Oh, c'est vous Asservissement ! Venez et accompagnez-moi dans ce voyage long et ténébreux, au pays des ânes et des années perdues à réparer le mal causé par la déesse Héra. Oh, Héra ! Pourquoi vous acharner sur un pauvre héros qui ne demande qu'à ce que vous le pardonniez d'avoir soutiré le lait de votre sein divin ! Je n'étais qu'un enfant, un enfant innocent, et si aujourd'hui je ne répugne plus à reproduire ce geste délicat, je ne peux m'empêcher, à chaque instant où je croque cette délicieuse vie du bout de mes belles dents, de repenser à cet accident de parcours, appelons-le ainsi, si infime à l'échelle de l'humanité, mais d'une propension gigantesque à l'échelle de l'Olympe. Héra, divine Héra ! Vous me punissez pour de nombreuses années mais sachez que quelle que soit la punition, je n'abandonnerai jamais l'espoir de me voir relever de mon serment et de retrouver cette liberté momentanément perdue.

Il est bien connu que le vin éveille l'esprit et l'imagination.

Hercule vomit.

S'essuyant la bouche du bout de la toge, notre héros aviné interpella le tavernier qui sortait prendre l'air.

━ Excusez-moi, tavernier, mais le port, s'il vous plaît ?

━ Cela dépend.

━ Comment ça, cela dépend ?

━ Caramel ou aigre-douce ?

━ Vous appelez vos ports de drôles de noms, tavernier. Allons pour celui qui facilite au mieux le transit.

━ Alors je vous conseille le caramel.

━ Combien de temps ? Je suis très pressé, voyez-vous.

━ Quarante-cinq minutes à tout casser.

━ La ville est donc si grande pour que vous ayez deux ports si éloignés ?

━ Deux porcs ? Vous plaisantez ?

━ Mais tavernier, possédez-vous donc tant de ports que cela à Delphes ?

━ Une cinquantaine, pourquoi ?

━ Diantre, ce n'était pas mentionné dans le guide.

━ Mais ils tiennent tous dans un enclos, vous savez.

━ Un enclos ?

━ Mais oui, où autre voulez-vous faire paître vos cochons ?

━ Mais vous perdez la tête. Que me parlez-vous de cochons quand je vous parle de bateaux ?

━ De bateaux ?

━ Tavernier, votre méchante tête est aussi vide que vos fûts de vin. Mon temps est précieux, indiquez moi le chemin du port immédiatement !

Ni une, ni deux, le tavernier s'exécuta, amusé de l'incompréhension et heureux de voir la brute disparaître au coin de la rue.

HerculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant