VI. LE JAMBON, LA BRUTE ET LE TRUAND

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━ Où diable peut bien être cet idiot de Patos ? Voilà que je le laisse une heure tout seul avec mon baudet et qu'il disparaît fissa sans prévenir. Je devais bien m'en douter, un brigand sera toujours un brigand, et une promesse dans sa bouche est comme le venin d'un serpent. Malheureusement pour lui, mon arc est sur le dos de la mule, et sans mon arc, impossible d'affronter ce lion de Némée qu'on veut me faire tuer. Tâchons donc de retrouver cet animal, ou plutôt ces deux animaux. Voyons voyons... Patos est gras, il ne pense qu'à manger, il devrait donc tourner autour de quelque rotisseur de la basse-ville. Mais il n'a pas de sous. Donc pas de sous, pas de poularde. Il doit donc se garnir les poches, mais comment ? Réfléchis, Alcide, réfléchis ! Le mulet ! Oui, c'est cela, le mulet ! Et mon arc là-dessus ! Il va donc essayer de les vendre pour se remplir la panse. Pas une seule seconde à perdre, au marché !

Il y avait, du palais d'Eurysthée au marché de Mycènes, environ cinq cents pas. Enfin, nous disons cinq cents pas, mais les sandales du héros traversant l'air à une allure bien plus intrépide que nos frêles mollets d'écrivain, on fut ainsi vite arrivé sur la place du marché.

On y vendait là de tout : du fromage de brebis au fumet repoussant, des olives et leur huile bien grasse, des toges écarlates et moult autres produits et aliments qui faisaient la renommée du pays.

Tel un rapace et malgré les odeurs alléchantes, Hercule scrutait les environs du marché à la recherche de sa proie.

━ Une croupe de mulet, droit devant ! s'écria le géant en pointant le doigt vers une échoppe à une centaine de pas de lui. Et à côté, ce petit homme tout gras, c'est mon Patos !

En effet, Patos, profitant de l'absence prolongée de son nouveau maître, s'était donné quelques instants de liberté qu'il espérait, grâce au produit des ventes de la mule et de l'arc, changer en une liberté définitive, loin de la menace des gros poings d'Hercule qui planaient en permanence au-dessus de sa tête.

━ Mais puisque je vous dis, marchand des Enfers, que ce mulet appartient à un demi-Dieu ! s'emportait Patos.

━ Vous connaissez pourtant la coutume, mon bon citoyen : plein tarif pour un dieu, demi-tarif pour un demi-Dieu.

━ La coutume, mais vous savez ce que j'en fais de votre coutume ? répliqua Patos, en soulevant la queue du mulet. J'en fais une boule que j'enfourne dans la croupe de cet animal divin !

━ Demi-divin, objecta le marchand en levant l'index.

━ Tatata, assez discuté, donnez-m'en cent drachmes et il est à vous.

━ Cinquante, et il est à moi. Et encore j'y perds.

━ Vous y perdez !

━ Oui, j'y perds. La bête louche.

━ Elle louche maintenant ! Ça ne l'empêchera pas de trimbaler vos bibelots, nom d'un marcassin !

━ Cinquante drachmes.

━ Marchand, marchand, dit Patos d'une voix cajoleuse, ne perdons pas cette belle journée à nous chamailler, et mettons-nous d'accord en coupant l'orange en deux, comme vous le suggériez tout à l'heure.

━ Donc cinquante drachmes ?

━ Mais non, soixante-quinze !

━ Alors non.

━ Non ?

━ Ou alors...

━ Alors...

━ Va pour soixante-quinze.

━ A la bonne heure ! s'écria Patos.

━ Soixante-quinze pour le mulet...

━ Marché conclu !

━ ... l'arc...

━ Hein ?

━ ... et le carquois.

━ Mais qui est le plus brigand de nous deux, sapristi ?

━ Vous, un brigand ? s'écria le marchand d'une voix si puissante que la moitié du marché se retourna vers l'échoppe devant laquelle se tenait Patos et le mulet.

━ Non non, je faisais de bons mots, voilà tout...

━ Pourtant, à votre accoutrement et à vos manières peu citoyennes...

━ Va pour soixante-quinze ! lança précipitamment Patos, inquiet de la foule qui commençait à se regrouper.

Le marchand sortit sa bourse et entama de compter scrupuleusement les drachmes, unité par unité, quand une voix puissante retentit derrière lui.

━ Combien pour ce mulet ?

Patos, le marchand et le mulet sursautèrent.

━ M. Hercule ! dit Patos en tombant à genoux juste au moment où le mulet allongeait un coup de sabot dans l'épaule du brigand.

━ Aïe !

━ Alors comme ça, mon petit Patos, on essayait de vendre mon mulet et mon arc ? commença Hercule en tirant l'oreille du brigand.

━ Pas du tout, pas du tout ! Je tenais seulement à en connaître la valeur. Vous savez, les prix fluctuent dans la région et le cours du mulet m'intéresse au plus haut point ! Mais le vendre ? Ah non non non, hors de question, pas votre mulet, M. Hercule, pas votre mulet !

━ Vilain menteur, ton nez a bougé ! Quel est ton nom, marchand, ajouta Hercule en se tournant vers l'échoppe.

━ Pinokios, mon bon citoyen.

━ Et pour combien allais-tu embarquer le tout ?

━ Pour une somme bien trop élevée, malheureusement : soixante-quinze drachmes.

━ Décidément, je suis entouré de menteurs ! Allons, assez discuté, cette mule m'appartient, tout comme cet arc et cet imbécile de Patos. Rangez vos drachmes et bon vent !

━ Je dois pourtant objecter, dit le marchand d'une voix incertaine.

━ Vous ? Objecter mes paroles ? Je serais bien curieux de savoir pourquoi.

━ Mais la vente a été conclue, citoyen, et cette mule, cet arc et son carquois sont miens.

━ Fichtre, vous ne voulez pas cet imbécile de Patos pour ce même prix tant que vous y êtes ? Je sens que je vais me lasser de lui et que je finirai par le précipiter du haut d'une falaise.

━ Oh ! s'écria Patos.

━ Si Monsieur souhaite se délester de ce fort mauvais vendeur, je suis l'obligé de Monsieur.

Hercule, sans lâcher l'oreille de Patos, saisit la tunique de Pinokios.

━ Je vous rachète le tout contre une bonne paire de baffes.

━ Sans façon ! s'écria le marchand en tremblant. Je ne supporte pas la douleur.

━ Alors, je t'éviterai mon poing sur ton museau et tu me laisseras partir avec mes affaires et mon esclave.

━ Marché conclu, marché conclu ! dit Pinokios d'une voix suppliante tout en allant se réfugier en dessous de la table.

━ Allons, Patos, réunis tes affaires, annonça Hercule, nous partons pour une chasse où je vais avoir besoin de tes talents de fouineur.

━ Si vous parlez de chasse aux champignons, je suis votre homme !

Hercule s'arrêta, mit sa paume sur son visage tout en secouant la tête, puis mit une tape amicale sur la croupe du mulet, qui se mit étonnamment à marcher.

━ Nous partons pour Némée, Patos.

━ Ah, je connais bien l'endroit pour y avoir détroussé quelques passants ! Et qu'allons-nous y faire ?

━ Chasser du lion !

HerculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant